L’éloge funèbre
J’avais eu l’occasion de signaler l’extrême discrétion souhaitée par Havet concernant ses funérailles. Ch-V. Langlois rappelle ce fait dès son introduction :
« Depuis sa dernière séance, L’Académie a perdu un de ses membres les plus anciens, qui lui appartenait depuis trente ans passés, M. Louis Havet. Sur sa demande formelle, il n’a été envoyé de lettres ou d’avis mortuaires ni à ses confrères ni à ses collègues ; il n’en a été adressé à personne, sous quelque forme que ce soit : il avait désiré dès longtemps que ses obsèques eussent lieu en toute simplicité, sans cérémonie aucune, dans la plus stricte intimité de famille. C’est donc aujourd’hui seulement que j’ai, comme on le fait d’ordinaire plus tôt et ailleurs, à rendre publiquement hommage à sa mémoire et à exprimer, en votre nom, notre douleur. »
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Avis de décès, diffusé après l’inhumation. |
« Je n’en dirai pas davantage, Messieurs, sur l’activité scientifique de notre confrère ; après tout, il ne m’appartient pas d’en parler. J’ajouterai seulement que jamais savant n’a été plus consciencieusement attaché à sa tâche. Il a travaillé, peiné, creusé son sillon, avec une bonne foi et un courage extraordinaires, jusqu’au jour où il est tombé. Alors qu’il était en butte à toutes les disgrâces, presque aveugle, atteint d’une maladie dont le nom seul effraie et dont, averti par une fièvre continue, il n’ignorait pas le terme prochain, sans parler des tristesses poignantes et irrémédiables de son foyer, il se faisait lire, il étudiait, il raisonnait, il dictait : il y a une notule de lui dans le dernier numéro de notre Bulletin Du Cange, qui vient de paraître. Il est mort, en vérité, debout, parce que, quoi qu’il arrive, l’homme de devoir doit mourir ainsi, et parce qu’il était un homme de devoir. Je suis conduit par là à parler de sa physionomie morale. […] Or le fait est, Messieurs, que Louis Havet a toujours aimé et aimait encore, au déclin de son âge, la vérité et la justice avec l’ardeur qu’on a quand on est jeune. Voilà tout. La vie lui avait sans doute ôté des illusions, mais elle n’avait pas entamé, ni même terni, la sûreté et la fraîcheur initiales de son sens naturel du bien et du mal, non plus que son intrépidité, dans les rencontres, à soutenir l’un et à combattre l’autre. Et cela seul le singularisait. »
« Il n’avait pas d’enfants, lui qui avait dit un jour que, plutôt que de n’en avoir pas, il aurait mieux aimé une douzaine, voire deux douzaines de filles. Mais il était étonnant avec les enfants des autres. Et pas seulement avec les enfants, mais avec tout ce qui est grâce et faiblesse, ou faiblesse tout court. Peu d’entre vous, peut-être, savent que, pendant la première partie de la guerre, il avait obtenu de l’autorité militaire que chaque jour, deux simples soldats convalescents des ambulances fussent autorisés à accepter chez lui une invitation à sa table ; pendant et après le repas, il causait avec eux, d’homme à homme ; il a prodigué ainsi à de très nombreux frères obscurs, anciens et futurs combattants pour le droit, le réconfort de sa cordialité. Il hospitalisait en même temps, suivant la saison, dans son modeste appartement du quai d’Orléans ou dans son ermitage des coteaux de la Loire, près de Tours, des exilés du fait de l’invasion ; et, après la paix, il n’a pas discontinué cette charité agissante, qui transformait en vérité sa demeure en ce que les bonnes gens appellent une « maison du bon Dieu ». Je n’ai jamais connu personne qui, sans en parler jamais, pratiquât à ce degré la fraternité humaine. »
Enfin, dans sa conclusion, le Président de l’Académie évoque la passion que Louis Havet avait découverte à Rochecorbon, celle des bouquets floraux qu’il devait composer à partir des fleurs cueillies dans sa propriété ou sur les coteaux de la Loire.
« J’exprimerai toute ma pensée en disant que cet homme éminent, ce grand savant, ce stoïcien énergique couronnait tout cela par ceci de délicieux qu’il avait gardé, sous les cheveux blancs, quelque chose de la pureté de l’enfance et de la spontanéité de l’adolescence. Il avait des candeurs et des joies simples : il est un de nos rares contemporains qui se soient plu à pratiquer toute leur vie le vieil art charmant de composer lui-même, à la campagne, des bouquets avec les fleurs des champs et des jardins. Et il était encore, d’autre part, à soixante-quinze ans passés, accueillant et ouvert, comme quelqu’un qui a devant lui le vaste monde à explorer, aux manifestations les plus variées et les plus neuves de l’intelligence. »
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Lettre de Louis Havet au capitaine Dreyfus. Postée de Rochecorbon. |
Son carnet
Julien Havet
Louis Havet et les étoiles filantes
On ne sait si c’était la superstition ou la recherche d’augures, mais Louis Havet observait fréquemment le ciel à la recherche d’étoiles filantes. On a de lui le signalement de deux étoiles filantes observées à Rochecorbon le 24 septembre 1900. (dans Astronomischer Jahresbericht, par Walter F. Wislicenus, Berlin 1903. p.174)