Chapelle Saint-Georges : une énigme résolue ?

La commune de Rochecorbon peut s’enorgueillir de recéler l’un des plus rares édifices de France : une chapelle romane, entière, dont les murs et les peintures remontent aux XIe et XIIe siècle.

La statue du Saint-Georges tueur de dragon dans la chapelle du même nom à Rochecorbon.

Dans une niche de cette chapelle trône une sculpture en plâtre, signée « Gangneux 1853 ». Elle est donc récente en comparaison de la chapelle, mais elle affiche tout de même plus de 170 ans !

Elle méritait donc une petite recherche pour essayer d’éclairer son histoire. La première piste fut à Rochecorbon même : le recensement de 1851, le plus proche, fait bien apparaître quelques familles du nom de Gangneux mais essentiellement de vignerons. L’un d’entre eux avait-il un talent caché ? Car les spécialistes ne connaissent pas de sculpteur de ce nom (notamment rien dans le Bénézit, la référence des artistes français).

Une première piste, à Blois

Dans les bases généalogiques françaises apparaît le décès en 1893 d’un certain Louis Gangneux, sculpteur, avec une information essentielle : il était né en 1826 à Rochecorbon ! La piste était sérieuse. De plus les registres des délibérations du Conseil général d’Indre-et-Loire indiquent qu’en 1853 le maire de Rochecorbon avait demandé au préfet une aide financière pour un étudiant nommé Gangneux : il obtenait de très bons résultats dans la prestigieuse École impériale de dessin, d’architecture et de sculpture à Paris (aujourd’hui École nationale supérieure des arts décoratifs, ENSAD, qui vit sortir de ses rangs des noms comme Matisse, Rodin ou Garnier). Mais sa famille subvenait difficilement aux coût de ces études. Finalement le Département ne put aider financièrement l’étudiant et limita son soutien à une lettre de félicitation et d’encouragement au jeune homme…

Il fallait alors rechercher les origines de ce Louis Gangneux à Rochecorbon : le recensement de 1861 note bien aux Pitoisières la présence d’une Catherine Bordier veuve Gangneux et de son fils Louis Gangneux, sculpteur, 35 ans.

Archives départementales d’Indre-et-Loire.

L’affaire était bouclée, ce Gangneux sculpteur était identifié !

Louis Gangneux, le sculpteur

Une recherche historique ne se limitant pas à un élément de preuve, l’enquête fut poursuivie. La carrière de Louis Gangneux s’esquissait : il avait fait ses études à Paris, y avait rencontré celle qui devint son épouse en 1866. Parisienne, elle était d’origine du Loir-et-Cher et le couple se maria et s’installa à Blois. Dans les annuaires départementaux il apparaît de 1868 à 1893 sous le nom erroné de Louis Gagneux (il manque un « n »). C’est donc son départ vers Blois qui le fit disparaître de la chronique rochecorbonnaise.

Sa vie d’adulte étant maintenant connue, il fallait compléter avec l’étude de sa jeunesse.

Patatras !

Et là, la catastrophe pour l’historien ! Le recensement de 1856 nous livre une information remettant tout en cause :

Le couple François Gangneux et Catherine Bordier, habitants des Pitoisières, avait deux fils François et Louis. Tous les deux étaient … sculpteurs ! Donc plus aucune certitude concernant le sculpteur de la statue de Saint-Georges. Une autre piste fut alors de chercher lequel de ces deux enfants s’était absenté du domicile familial pour suivre ses études de sculpture. En 1853 le maire indiquait à propos de l’enfant Gangneux : « je joins le relevé des médailles et des notes accordées à ce jeune homme depuis son entrée à l’école. De tels succès prouvent que la vocation dont cet artiste s’est montré animé dès son enfance ne s’est pas démentie. » Il y avait donc quelque temps que l’élève fréquentait cette école.

Voyons voir à nouveau le recensement de 1851 : l’un des deux enfants était-il absent ?

Mince ! Les deux fils étaient absents ! Impossible de départager… Les deux ont-ils suivi la même formation ? Possible. Les archives parisiennes sont trop nombreuses et trop vastes pour nous donner facilement d’autres éléments. Peut-être un jour un historien travaillant sur cette école fera-t-il sortir le prénom de cet enfant Gangneux de 1853, voire les deux frères.

François Gangneux, l’autre sculpteur

Mais explorons tout de même la vie du frère, François. À Rochecorbon, rien ! On perd sa trace : rien dans les recensements, rien dans les délibérations municipales, rien dans le cadastre si ce n’est que les deux fils héritèrent de leur mère en 1871 chacun la moitié de la maison familiale.

Ce sont les archives notariales qui vont être décisives : le 6 février 1879 Louis Gangneux sculpteur louait à son frère François l’entièreté de la maison. Le fait est curieux. Mais surtout l’acte n’est pas signé de François mais de Théodore Moulnier, « en qualité de membre de la Commission administrative de l’Hospice général de Tours, chargé d’exercer les fonctions d’administrateur provisoire à l’égard de François Gangneux, sculpteur non interdit, ayant son domicile à Rochecorbon mais déposé à l’asile d’aliéné dudit Hospice de Tours ». François était donc aliéné.

L’acte comportait une erreur : François Gangneux avait été « déposé à l’asile », donc en terme juridique il était « interdit » de liberté. Or l’acte indiquait qu’il était « sculpteur non interdit », c’est-à-dire qu’il était sensé rester chez lui malgré sa maladie (et non pas qu’il était un artiste non interdit par une quelconque censure !). Lorsqu’il décéda à l’Hospice de Tours en 1893, le notaire se penchant sur sa succession détecta l’erreur de 1879 et l’acte fut corrigé par le Tribunal de Tours.

Nous savons donc la raison de la disparition rochecorbonnaise de François Gangneux : depuis les années 1860 jusqu’à son décès il était interné…

Alors, lequel a sculpté la statue ?

L’énigme n’est pas résolue : en 1853 les deux pouvaient être étudiants et les deux furent sculpteurs. Aucun indice ne permet de les départager. La signature sur le pied de la statue ne comporte pas de prénom, elle est juste suivie du dessin d’une petite boucle. En se forçant les supporteurs de François pourraient y voir un F, ce qui serait immédiatement contesté par ceux de Louis.

Tentons une hypothèse : François Gangneux est malade dès sa jeunesse. Dans le recensement de 1841 il est dit « vigneron ». Il a donc un métier, mais il entre par périodes à l’hospice, ce qui explique son absence au domicile familial en 1851. En 1856, son frère Louis qui a terminé ces études est revenu à la maison et tente d’apprendre le métier de sculpteur à son frère. Rapidement la maladie s’aggrave et cette fois François retourne et reste définitivement à l’hospice.

Un coin du voile a été levé : la statue a été faite par un sculpteur rochecorbonnais du nom de Gangneux en 1853 ! Et son prénom est probablement Louis.

Quant à la statue, elle fait figure de parent pauvre dans cette chapelle bientôt millénaire. Pourtant ces 170 ans pourrait bien inspirer un peu d’attention. Une photographie de novembre 1964 la montre en meilleur état.

Archives départementales d’Indre-et-Loire, fonds du photographe Arsicaud 5Fi012511 (extrait).

Peut-être une petite restauration par l’efficace Association des amis de la chapelle Saint-Georges ? Gageons que son président Patrick Leloup et son secrétaire Robert Pezzani seront sensibilisés par cette étude. C’est ce qu’on lui souhaite de mieux !


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