Les habitations troglodytiques de Rochecorbon vues par les voyageurs

Ce premier texte donne la perception perçue par Madame Georgette Ducrest dans « Mémoires contemporaines » lors de son passage en 1856.

 

« ……………… Je vous rassure mon amie que j’ai la volonté de suivre vos conseils, mais ma maudite étourderie m’entraîne souvent. Continuez moi vos avis, et ne désespérez pas d’une correction qui, pour être lente, n’en sera peut-être que plus sûre. Je crains que vous ne vous découragiez, car il y a longtemps que je n’ai reçu de vos lettres. Ma mère, qui me voit inquiété, m’assure que vos occupations vous empêchent de m’écrire. Elle ne parvient pas à me tranquilliser ; vous seule pouvez y réussir en me répétant que vous m’aimez et que vos nouvelles connaissances ne vous font pas oublier les anciennes. Nous aurons du moins sur les premières l’avantage de vous aimer comme jamais on ne vous aimera, puisqu’on ne vous connaîtra pas aussi bien que nous. 
Le coteau de Rochecorbon en 1825.

 

Après notre frugal repas, nous avons repris nos humbles montures et la route d’Amboise. J’ai remarqué plusieurs roches d’où s’échappaient les nuages épais d’une noire fumée. Surprise de cet incident, j’espérai presque que nous allions assister à la découverte de quelque éruption d’un volcan inconnu ; mais l’un de nos compagnons de voyage m’ôta cette illusion et augmenta mon étonnement en m’apprenant que cette fumée venait du modeste foyer d’une pauvre famille s’étant creusé une habitation dans ces rocs. Je voulus m’assurer de la vérité de cette assertion, et tournant cet informe bloc de pierre, nous découvrîmes une porte mal jointe qui nous ouvrit un passage pour pénétrer dans une sorte d’antre éclairé par deux petites lucarnes ; nous y vîmes une femme, jeune encore, entourée de six enfants bien gras et bien frais, assis par terre autour d’une vaste terrine contenant une bonne soupe aux choux qu’ils dévoraient en riant aux éclats ; la mère les regardait d’un air satisfait. Je restai pétrifiée à ce spectacle ; je n’imaginais pas que l’on pût vivre dans un pareil lieu, et surtout que l’on y pût rire ! Je voyais l’apparence du bonheur là où je ne comptais trouver que la misère et la tristesse.
 
Le rocher est un vrai village avec ses habitants et sa rue.

Notre arrivée n’interrompit point les enfants ; la jeune femme s’approcha de nous et nous offrit de nous asseoir sur les deux seules escabelles de bois composant une partie de son mobilier, dont l’énumération n’est pas longue à faire : une table, une grande armoire en noyer, un lit avec des rideaux de serge verte, un autre dans lequel couchaient cinq petites filles, et un berceau pour le dernier des marmots, est tout ce que possédait cette famille. Je demandai si elle habitait depuis longtemps ce rocher. « Oui, ma belle demoiselle, me répondit la mère en débarbouillant à moitié un petit garçon qui, plus curieux que les autres, secouait de grosses boucles blondes pour dégage ses yeux et nous regarder, je sommes ici depuis mon mariage. Jacques est vigneron. Il travaille pour M. Clément de Riz ; Mais nous possédons au-dessus de notre maison un peu de vigne à nous, un petit champ de pommes de terre, quelques autres légumes et des fruits : je file toute l’année, ne pouvant quitter mes petits. Comme je suis fameuse fileuse, je ne manque pas d’ouvrage ; avec de l’économie, une conscience nette, un bon mari et des enfants bien portants, je me trouve très-heureuse et ne changerais pas notre sort contré ceux de nos belles dames, qui s’ennuient comme tout.

 
Rochecorbon : habitations dans le rocher à Vauvert.
Quel contraste offraient ce que je voyais là et ce château duquel je sortais. Que de réflexions j’y fis sur la folie d’attacher le bonheur à mille inutilités dont des milliers d’êtres savent si bien séparer sans être moins satisfaits de leur destinée ! Cette bonne mère de famille me donnait une leçon dont je saurai profiter ; et lorsque je regretterai quelque objet de luxe et que dans ma petite chambre de M*** je me surprendrai à penser tristement aux choses qui me sont refusées par position de ma mère, je songerai vite au rocher de Rochecorbon, et je me trouverai résignée. Que de richesses renferme notre habitation en les comparant à ce que possède madame Jacques M(1).
 
Nous retournons demain dans notre village. Ma mère voulait me mener jusqu’à Tours ; mais je me figure très bien ce qu’est une très belle ville, un superbe pont, etc., et je craindrais, en prolongeant notre voyage, de fatiguer ma mère, qui n’est pas bien en diligence ; la dépense qu’elle ferait la gênerait d’ailleurs peut-être pour longtemps.
 
Je crois aussi que l’espoir de trouver de vos nouvelles à M*** est pour beaucoup dans le désir que j’éprouve de m’y rendre. Adieu, mon amie : écrivez moi. Je vous répète toujours la même chose, c’est vous exprimer le plus cher de mes vœux.
 
ZOÉ.
 
(1) On voit sur la route de Tours une suite de rochers transformés ainsi en habitations. On leur a donné le nom de Rochecorbon. Avant les chemins de fer, les voyageurs s’arrêtaient souvent pour visiter ces sortes de cavernes habitées, et laissaient quelques pièces de monnaie aux paysans. »
 
 
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Cet autre extrait est prélevé dans les registres de la mairie de Rochecorbon. Il fut enregistré lors du passage du Duc et de la Duchesse d’Orléans le 13 août 1839.
  
Le coteau et ses « habitations troglodytiques » ( source : publication de la Société Archéologique de Touraine)
« Le mardi 13 août à 10 heures du matin, M. le Duc et Mme la Duchesse d’Orléans sont passés à Rochecorbon, venant d’Amboise et se rendant à Tours et de là dans le midi de la France…
Une décoration en feuillage, ornée de drapeaux tricolores et du chiffre du Roi, du Duc et de la Duchesse d’Orléans avait été dressée sur la levée, devant le retrait d’entrée du Bourg.

 
 
 
 
 

M. le Maire, adjoints et autres membre du conseil municipal, M. le Curé de Rochecorbon, la garde nationale ayant en tête tous ses officiers, et M. les officiers retraités résidant dans la commune se sont rendus sur la levée pour recevoir le prince et le princesse.
En arrivant le Duc d’Orléans a fait faire halte et s’est empressé de descendre de voiture. Il a accueilli avec bienveillance et affabilité les paroles de réception que le Maire lui a adressées. Il lui a répondu en ces termes :
« Mr le Maire je vous remercie des sentiments que vous venez de m’exprimer, j’en ferai part au Roi : il y sera bien sensible, c’est avec grand plaisir que je me trouve au milieu d’une population dévouée comme la votre à nos institutions et au trône constitutionnel. Ce sera toujours avec plaisir que je m’y retrouverai, si l’occasion s’en représente. »
Ensuite le prince a passé en revue la garde nationale et s’est entretenu avec le Maire, les membres du conseil, le commandant et autres officiers de la garde ou en retraite qu’il a accueilli avec grande cordialité.
De son coté la princesse exprimait son inquiétude de voir des habitations creusées dans le rocher, elle craignait qu’elles ne fussent malsaines et que ceux qui les occupaient n’y fussent mal à l’aise… Elle n’a été tranquillisée que par l’assurance qu’on lui a donnée du contraire. « Je regrette, a-t-elle ajouté, de n’avoir pas plus de temps à moi, j’aurais eu du plaisir à visiter l’intérieur du pays ».

Lavandières devant leur habitation au Patis (Rochecorbon).

 

Le séjour du prince et de la princesse parmi nous a duré vingt minutes qui ont suffit pour électriser tous les cœurs. Chacun était dans l’enchantement, l’enthousiasme de la cordiale et bienveillante affabilité du prince, de la bonté et de la grâce toute française de la princesse.

C’était la première fois que des princes de la famille régnante, que le prince royal surtout, héritier présomptif du trône s’arrêtaient à Rochecorbon ; c’était pour la Commune un véritable jour de fête et c’est pour en perpétuer le souvenir que la relation en est consignée dans ses registres… »

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