Extrait de « Pages oubliées : légendes et traditions » écrit par Gaston Bonnery en 1909.
C’est une tour svelte, de peu d’épaisseur, faisant partie jadis d’une fortification moyenâgeuse et qui comme une aiguille s’élance hardiment dans tantôt brûlée l’espace, par le soleil, tantôt lavée par les pluies, mais bravant toujours les intempéries des saisons et les insultes des siècles.
Elle sollicite l’intérêt du touriste, aussi bien que l’attention de l’archéologue. Son origine remonte, en effet, à l’un de ces personnages qui illustrèrent le Comté de Touraine avant sa réunion la couronne, sous Philippe-Auguste, c’est-a-dire, à cette noblesse qui avec le sang transmettait en héritage la foi, le courage et l’honneur.
On raconte que Corbon, sire des Roches, qui vivait au seuil du XIe siècle, et dont la famille s’illustra par les actions d’éclat dans les Croisades, lui aurait donné son propre nom, de là sa transposition sous le vocable de Rochecorbon. Ce fut aussi un Corbon qui employa, l’un des premiers chevaliers, dans ses chartes, la fameuse formule de « Par la grâce de Dieu », alors réservée aux Princes du sang.
C’est Robert, Seigneur de Brenne, l’un de ses descendants, au commencement du XIIIème siècle, que la légende fait remonter la tour d’observation construite en ce lieu stratégique, tour qui n’a été l’objet d’aucun travail bien sérieux.
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Ruines du château de Rochecorbon telles qu’elles sont peintes à la mairie de Rochecorbon (d’après Charles-Antoine Rougeot). |
L’architecte avec un art prodigieux, avait su mettre à contribution le rocher où la sape et la mine y paraissaient impossibles.
Ce n’est ni un nid d’aigle, ni un repaire de brigands, mais un asile d’un pittoresque, saisissant qui domine la Loire, semant ça et là, ses nombreux bancs de sable d’or.
De cet observatoire, les compagnons de guerre du baron d’Amboise, à la lueur tremblotante de l’immense fanal encensant le ciel, lui envoyèrent chaque jour par les airs les nouvelles du Comté…
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Gravure de Girardet. XIXème siècle. |
Sur ces hauteurs où des feux brûlaient naguère, viennent se reposer des hôtes éphémères, des oiseaux nocturnes troublant seuls de leurs appels lugubres, ou de leurs roulades mystérieuses la paix de la nuit ; ils aiguisent leur bec, dévorent d’innocentes victimes dont les ossements dépouillés de leur chair tombent à l’intérieur de la cheminée, comme en un immense charnier dissimulé sous une épaisse chevelure d’arbustes épineux.
Rien de mélancolique hélas ! Comme le souvenir d’une grandeur déchue, ensevelie dans la poussière des ruines : sous la rafale du vent qui passe, on dit, que comme le cerf altéré soupire après les sources d’eau, les Âmes des défunts affranchis des biens terrestres y tiennent leur cour ainsi qu’autrefois, et disparaissent légères et gracieuses dans un arc-en-ciel dont la courbe aérienne forme un pont diaphane et radieux, entre le ciel et la terre.
Vue d’en bas, la lanterne de Rochecorbon semble être taillée dans un même bloc qui s’effrite sans cesse, n’offrant plus au regard fasciné que les assises de quelques gros murs démantelés. Un sentier en lacet permet de monter au faite du plateau, d’où l’on accède facilement à la base de la tour. Tout a été saccagé, pillé, incendié ; les matériaux épargnés ont été utilisés dans l’étendue du pays, et cependant tout rayonne de souvenirs et il circule toujours les histoires légendaires des hautes promesses des anciens maîtres de cette demeure, jadis inaccessible aux manants, et que nous, voyageurs, nous visitons avec une admiration et un respect avertis ces ruines rappellent tant de noms écrits dans nos annales et réveillent tant d’échos de gloires et de malheurs…
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Image extraite de Harper’s New monthly magazine N°CCCLXIII août1880 vol LXI p393. |
Le temps passe vite en cette jolie vallée où la puissance divine a largement ouvert sa main. Que le soleil se lève ou qu’il éclaire le monde, qu’il soit à moitié de sa course ou à son déclin, l’aspect du paysage est toujours splendide. La nuit venue, les étoiles radieuses montrent le chemin des cieux. Celui qui veut réellement reposer son âme n’a qu’à laisser sa vue errer au delà des astres ; là, seulement existe une paix immuable. Étudiant les rapports mystérieux qui unissent l’homme à Celui qui l’a créé, il pourra écouter la douce harmonie du langage que Dieu parle à son cœur. Il n’y a que les grandes scènes de la nature pour élever l’Âme jusqu’à l’immensité et l’Infini de Dieu.
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Elle a pourtant l'air si fragile…
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