Madame Imbert, héroïne et féministe, complexe et oubliée

Bien étrange personnage que celui de Louise Nay, dite la veuve Imbert : son nom apparaîtra tout au long de sa vie dans les journaux de toute la France. Elle s’illustra lors de la guerre de 1870 avant de sombrer dans une misère constellée de petites escroqueries pour nourrir sa famille.
Et toute sa vie durant, elle se battra pour avoir le droit de s’habiller comme un homme : elle mérite bien cet article publié pour la Journée de la Femme de ce 8 mars 2015.

 

Une vie bien mystérieuse

On ne sait pas grand chose du début et de la fin de vie de Louise Nay. Elle a toujours déclarée être née en 1844, parfois en 1834, dans la Ville du Mans, dans la Sarthe. Elle précisera le 1er mars 1844. Malheureusement cette naissance ne figure pas dans les registres de la ville du Mans ! Petit ou gros mensonge ?
En 1870 elle tient un petit commerce à Metz lorsque les armées prussiennes entrent en France. Elle fait de l’espionnage puis transporte des messages au travers des lignes ennemies. A la fin de la guerre elle retourne dans sa maison qu’elle retrouve incendiée.
En 1873 elle habite à Blois et témoigne au procès du maréchal Bazaine qui avait capitulé à Metz le 19 octobre 1870.
En 1879 elle est à Rochecorbon où elle écrit ses mémoires de guerre.

En 1883 elle habite Bordeaux. Le 14 septembre 1883 elle est arrêtée pour escroquerie à Ascain (pays basque). Elle avait prétendu à plusieurs familles de détenus qu’elle pouvait les faire sortir de prison moyennant finances. Les sommes furent versées, en vain. Louise Nay est condamnée à 1 an de prison.
En 1896 elle tient un café, le bar des quatre-chemins, route d’Hyènes à La Garde (près de Toulon, département du Var). Peu après le 2 mai 1897 c’est à Aix-en-Provence qu’elle s’installe pour y ouvrir le bar des promeneurs route de Marseille, dans la villa des roses. Elle vit misérablement dans un réduit, avec une fille adoptive et ses deux enfants.
En 1908 elle est receveuse-buraliste à La Verrerie au nord de Toulon et de La Garde. Elle est inquiétée dans une affaire de vol.
Quelques mois plus tard, en août 1908, on la retrouve au Mans, dans une maison au milieu des champs la campagne Rocheteau, où elle réclame l’attribution d’un bureau de tabac en récompense de ses actions de 1870. Sa fille adoptive l’a quittée mais lui a laissé ses 3 enfants ! Plusieurs journaux la soutiennent, sans succès.
En 1913 elle est revenue à Metz (quartier Saint-Marcel), à cette époque dans l’Empire allemand. Et comble de l’ironie, c’est dans cette zone allemande que lui vient une petite reconnaissance tardive avec l’attribution d’une prime de 100 marks.
C’est la dernière fois qu’on entendra parler d’elle.

Guerre de 1870

A cette époque, Louise Nay habite Metz. Elle est connu sous le nom de la veuve Imbert. Lors de l’arrivée des troupes prussiennes elle constate que l’ennemi construit un pont de bateaux pour franchir a Moselle. Elle court en informer les autorités françaises. Elle se prend au jeu et rapidement fait office d’estafette volontaire, transportant des ordres militaires entre les différentes troupes. Déguisée en homme elle s’infiltre dans les lignes prussiennes. Arrêtée, elle réussit à se sauver en tant préservé les 3 messages qu’elle portait. Son grand fait de guerre a été d’espionner le positionnement des troupes prussiennes autour de la commune de Sierck, au nord de Thionville.
Son histoire serait probablement restée anecdotique si la dame Imbert n’avait pas été convoquée en 1873 comme témoin lors du procès du maréchal Bazaine.

Image parue en novembre 1873, montrant les principaux témoins entendus lors du procès.
La veuve Imbert est la seule femme citée.

Elle y retraça ses rencontres avec Bazaine, les messages transmis. Mais elle ne fut pas tendre pour le maréchal dont elle dira dans ses écrits :

Loin de tenir compte des renseignements que j’avais recueillis avec tant de prudence et de peine, l’Homme Capitulard préféra rester oisif pendant douze jours, facilitant par son inaction l’arrivée des soldats de Guillaume, qui venaient d’investir la ville sans coup férir. Ce misérable chef resta insensible aux pressantes sollicitations des braves et courageux soldats qui ne demandaient qu’à se mesurer avec les Prussiens, que nos aïeux avaient si vaillamment chassés du territoire français pendant les guerres du premier Empire.

Le maréchal fut finalement condamné à mort, condamnation commuée en 30 ans de réclusion.

Louise Imbert à Rochecorbon

En 1879 La gazette des femmes précise qu’elle habite à Rochecorbon où elle vit, «modeste et oubliée». Si ce journal s’est intéressé à elle, c’est parce qu’elle avait profité de sa tranquillité tourangelle pour mettre par écrit ses souvenirs de guerre.

Le livre est publié à Tours, chez l’Imprimerie Rouillé-Ladevèze, rue Chaude. Petit opuscule de 40 pages, il comprend notamment la copie des certificats qui avaient été transmis à Mme Imbert par les différentes autorités militaires. Ces copies sont certifiées conformes à l’original par le baron Paul de Bourgoing, adjoint du maire de Rochecorbon (à cette époque le maire était Pierre Lebled).
L’ouvrage bien écrit est certainement de sa propre plume : en 1897, à Aix-en-Provence, elle exercera le métier d’écrivain public.

Mme Louise Imbert, juste avant
son arrivée à Rochecorbon.

Je ne sais pas quand Louise Imbert, après Blois, est arrivée à Rochecorbon, ni quand elle est partie : elle ne figure pas dans le recensement de 1876, elle n’est pas non plus dans celui de 1881. Elle n’a donc vécu qu’une période indéterminée entre ces deux dates. Elle vivait de dons divers, de l’hospitalité de personnes touchées par son histoire.
Son livre lui servira de brevet de civisme et de témoignage de moralité lorsqu’elle sollicitera des ressources financières ou l’attribution d’un bureau de tabac, mais aussi lorsqu’elle se trouvera face à la police ou la justice !

Un modèle pour les féministes

C’est ce qui marque certainement le plus dans ce personnage. Ayant goûté aux vêtements masculins qu’elle porte durant la guerre pour se fondre dans la population, elle décide notamment de conserver le port du pantalon qu’elle juge plus pratique, notamment lorsqu’elle fait du cheval. En 1870, c’est illégal !
Elle doit essuyer de nombreuses critiques et remarques d’hommes, choqués par cette femme à l’allure d’homme. Si lors du procès on peut la voir en vêtements féminins (voir la gravure ci-avant), c’est au moment de son passage à Rochecorbon qu’elle prend sa décision définitive : elle revendique le port du pantalon, porte les cheveux courts et, ultime provocation, fume.

En 1909 L’Ouest-Eclair fait un reportage sur madame Imbert : celle-ci est «habillée
comme un homme» et fume la pipe. Sur l’image du bas elle est avec les trois enfants
que lui a abandonnés sa fille adoptive !

Cet exemple de lutte contre les préjugés et pour les droits des femmes sera repris par tous les mouvements féministes qui naissent au début du XXe siècle : la Société pour l’amélioration du sort des femmes, la Ligue française pour le droit des femmes, la Fédération française des sociétés féministes et les suffragettes françaises la citeront en exemple.

Pour en savoir plus :

  • son livre à découvrir sur le site de la BNF, Gallica.
  • une question réponse au Ministre des Droits des femmes en 2012, truculent !

En clin d’œil cordial à l’actuelle buraliste de Rochecorbon, Mme (et M.) Imbert !


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