Il y a 300 ans exactement, le vin de Rochecorbon était envoyé à Nantes pour être exporté vers les pays du nord de l’Europe, de la Belgique à la Pologne. En témoigne cette facture datée 6 novembre 1722.

L’auteur de la lettre est certainement François Marchandeau dit Marchandeau l’aîné, qui comme son nom ne l’indique pas était marchand de vins ; il habitait les Patis de Vouvray. Deux de ses fils, Gilles et Jacques, venaient de s’installer à Rochecorbon aux Patys où ils avaient épousé deux cousines éloignées de la grande famille des Serée, autres négociants en vins. Ils sont à l’origine de la grande famille des Marchandeau, gros propriétaires rochecorbonnais pendant près de deux siècles qui construisit un port pour charger leurs tonneaux sur les bateaux de Loire.

Les unités de volume de vin utilisées ici sont la pipe d’environ 500 litres, le poinçon [p] qui est une demi-pipe donc 250 litres, et le quart qui vaut un quart de pipe et donc un demi-poinçon, 125 litres. 1 pipe = 2 poinçons = 4 quarts.
L’unité monétaire de l’époque est la livre tournois [lt, la barre du t traversant le l], divisée en 20 sols, 1 sol valant 12 deniers. 1 livre = 20 sols = 240 deniers. Oui, ce n’était pas très simple pour les calculs.
Cette lettre est adressée à un dénommé Vuinantes, marchand à Nantes. Marchandeau lui a fait parvenir 33 poinçons et 33 quarts . Le prix d’achat est indiqué pour une pipe.
Le texte expliquant la facture est donné. Il faut savoir le lire !
«a Nantes que je lui et en voye par lange» : à Nantes, que je lui ai envoyé par Langeais.
«savoir trante trois poinson et trante trois quars de vin blans de vouuvray» : savoir trente-trois poinçons et trente-trois quarts de vin blanc de Vouvray.
«marque comme sy a coste achete les dits vins savoir» : que j’indique à la suite où et à côté combien je les ai achetés.
Suit alors le détail chiffré de la facture :
- la première ligne de ce détail indique «16 p en trante deux quars achete de Monsieur Moduit à 148 lt ii 84 lt» : 16 poinçons contenus dans 32 petits tonneaux quarts achetés à Monsieur Mauduit à 148 livres tournois le poinçon, soit 16 x 148 = 1184 livres tournois.
- la deuxième se lit alors facilement ! même volume total de 16 poinçons au même prix = même somme.
- la troisième ligne nous intéresse particulièrement puisqu’il concerne du vin blanc de Rochecorbon. Il en est fourni 17 poinçons et 1 quart, donc 17,25 poinçons à 107 livres tournois le poinçon, soit 17,5 x 107 = 936, 25 soit 936 livres et un quart de livre, 5 sols.
Le volume total de vin faisait 32 quarts + 16 poinçons + 17 poinçons 1 quart = 33 poinçons et 33 quarts, ce qui convertit en pipes donne 24,75 pipes. Marchandeau indique des frais de transport (le «charoy» certainement jusqu’à Langeais) de 30 sols par pipe, ce qui donne 24,75 x 30 = 742,5 sols, soit 37 livres 2 sols et 6 deniers. On voit que Marchandeau n’a pas parfaitement fait le calcul et est resté sur 37 livres 2 sols, oubliant les 6 deniers…
La commission encaissée par Marchandeau est de 2 % du prix du vin (3304 livres et 5 sols, 3304,25), ce qui fait 3304,25 x 2 /100 = 66, 085 livres soit 66 livres 1 sol et 8 deniers. Un fois encore le calcul de Marchandeau est légèrement erroné, cette fois ci en sa faveur, puisqu’il demande 66 livres et 5 sols…
Une remarque sur le prix du vin, 148 livres la pipe pour le vin de Vouvray et 107 pour celui de Rochecorbon. Jusqu’au XVIIe siècle les vignerons de Rochecorbon produisaient principalement du vin rouge dont les vignes étaient plantées au pied des coteaux du bord de Loire. Le vin était essentiellement bu localement à Tours. Des tentatives d’exportation ne semblaient fonctionner qu’avec l’eau-de-vie obtenue avec les quelques vignes de raisin blanc du plateau. Tout changea avec l’installation de négociants – commissionnaires qui avaient de gros besoins pour Paris ou les régions du nord de l’Europe. On planta alors avec frénésie des vignes sur le plateau où seules les vignes blanches donnaient du vin de qualité, imitant en cela ce qui se faisait déjà à Vouvray mais aussi à Sainte-Radegonde et même Saint-Georges.
En cette année 1722 nous sommes dans la pleine croissance du vignoble blanc de Rochecorbon, et si le vin était bon il n’avait pas encore la notoriété de celui de Vouvray et donc un prix inférieur. Mais cette sous-évaluation ne fut pas néfaste au vin rochecorbonnais qui, pour une qualité s’approchant de celle du Vouvray, était bien moins cher et donc plus intéressant : les ventes explosèrent, des vignes furent plantées sur presque tout le territoire communal. Il y avait de grandes vignes aux Cartes jusqu’à Villesetier !
Enfin, vous aurez noté en fin de lettre «a vouvray ce 6 9bre 1722», à Vouvray ce 6 novembre 1722, il y a bien précisément 300 ans !
Cher Claude
Tes articles sont toujours aussi passionnants et précis
Bien amicalement
JPierre Paquien
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Merci Jean-Pierre pour ton soutien fidèle. Claude
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Bravo pour la dissection mathématique de ce document et pour toutes ces explication en découlant. Admirative.
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🤗
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