François Gangneux, artiste éphémère

Il y a quelques mois, j’écrivais l’article Chapelle Saint-Georges : une énigme résolue ? J’y supposais, à propos du sculpteur de la statue de saint Georges présente dans la chapelle du même nom et signée Gangneux, que « son prénom est probablement Louis ». J’avais laissé un point d’interrogation au titre de l’article et indiquais : « Peut-être un jour un historien fera-t-il sortir le prénom de cet enfant Gangneux de 1853 ».

Et bien décidément cette histoire à rebondissements vient d’être émaillée de deux nouvelles trouvailles qui éclaircissent maintenant la situation.

L’intérieur de la chapelle en 1964. Photographie fonds Arsicaud des Archives départementales d’Indre-et-Loire, 5Fi012511, colorisée par IA. La niche a depuis été décapée de son enduit. Dommage, la statue y était mieux mise en valeur.

Les moules de la statue

Lors des Journées du patrimoine le 22 septembre dernier un sculpteur tourangeau, Filipe Jorge, se présentait à la chapelle : il venait donner les moules de la statue de saint Georges qu’il avait récupérés quelques années auparavant dans un logement troglodytique de Rochecorbon, rue des Hautes-Gâtinières.

Tout doute était levé sur la destination de ces moules, l’une des pièces de ce puzzle comportant en creux la signature présente sur le pied de la statue : « Gangneux 1853 » accompagnée de la même petite fleur.

Mes premières recherches avaient permis d’identifier une famille Gangneux habitant en haut des Clouet en 1853. Les familles Gangneux étaient nombreuses à cette époque mais l’une d’elles avait 2 enfants sculpteurs, François et Louis, et j’inclinais pour le second comme auteur de la statue. Mais deux évènements viennent de remettre en cause cette hypothèse. Comme l’écrivait Marc Bloch, le grand historien bientôt panthéonisé, à propos des travaux de recherches d’un historien :

la meilleure récompense que nous puissions rêver : celle de voir, peu à peu, nos propres esquisses rendues caduques par des travaux plus approfondis.

Le « troglo » des deux sculpteurs

Le premier rebondissement est arrivé par Monsieur Jorge qui me mit en relation avec Monsieur Lepetit, le propriétaire du logement troglodytique où avaient œuvré les deux sculpteurs : sur les murs de ce « troglo » ont été conservées plusieurs sculptures en haut relief (dans un bas relief les personnages sont sculptés en léger relief par rapport au fond, dans un haut relief les personnages sont sculptés en volume, sans être toutefois détachés du fond). Merci au propriétaire et à son locataire pour nous avoir permis cette visite.

Parmi ces quelques sculptures une attire plus particulièrement l’attention:

Sculptée par une personne tourmentée, elle représente à gauche un personnage avec la culotte baissée, à droite un second personnage bien campé sur ses pieds et au centre un monstre et la date de 1850. Elle est légendée :

pour un fils à son père | pardon pardon mon père
faut-il être si sévère | ça vous est nécessaire.

Une telle déclaration m’orientait alors vers le fils François dont on savait qu’il avait été par la suite interné à l’asile de Tours suite à de graves troubles mentaux.

Des documents déterminants

La recherche documentaire fut complexe mais fructueuse. Les archives du Tribunal civil de Tours, celles du Juge de paix du canton de Vouvray, de l’Asile d’aliénés de l’hospice de Tours, des notaires, et des journaux de l’époque viennent de nous livrer des indices précieux. Je n’en citerai que deux :

• dans un acte notarié de projet de partage de succession le 22 novembre 1865 entre la mère veuve et ses deux fils, il est indiqué que Louis est « sculpteur » et François « sculpteur statuaire ». Le premier sculptait des motifs décoratifs tandis que le second façonnait des statues.

• les journaux d’août 1852 publiaient les récompenses de l’École nationale et gratuite […] de sculpture d’ornement. Parmi les récompensés figuraient François Gangneux qui obtenait un premier prix et deux accessits. Or l’année suivante le maire de Rochecorbon qui sollicitait une subvention pour un enfant Gangneux, joignait à sa demande « le relevé des médailles et des notes accordées à ce jeune homme depuis son entrée à l’école ».

Le statuaire de notre statue de saint Georges est bien François, et c’est sa rapide dégradation mentale qui interrompit un carrière prometteuse. Si Camille Claudel avait vu sa carrière de sculptrice brisée par un internement après le décès de son père protecteur, François Gangneux interrompit la sienne après le décès de son père maltraitant.

L’éphémère carrière de François Gangneux

Né en 1824 dans une famille de vignerons, François s’orientait vers le métier de vigneron auprès de son père. Volonté ou pression familiale ? Vers 1848 il quittait la famille pour apprendre la sculpture. C’est probablement lors de vacances scolaires qu’il revint à Rochecorbon et retrouvait la rudesse de son père qu’il représentait alors dans une sculpture en démon flagellant son fils. Fin 1850 il entrait dans la grande école parisienne l’École nationale et gratuite … de sculpture d’ornement, devenue en 1852 la célèbre École impériale de dessin, d’architecture et de sculpture (Rodin y entra élève en 1854). C’est à l’occasion de ses études qu’il sculpta la statue de saint Georges qu’il offrit ensuite à la paroisse, conservant les moules dans sa cave-atelier.

En 1854 il était de retour à la maison, retour mouvementé puisque le 16 mars il était une première fois interné pendant deux mois, puis le 11 juillet il y retournait pour 15 mois. Son frère Louis qui avait appris la sculpture d’ornement revenait alors à la maison. En 1856 leur père décédait. Louis soutenait son frère François « atteint de démence consécutive à un délire chronique ». Mais si les sévices du père avait disparu, le mal était fait. Deux ans plus tard, le 1er décembre 1858, François entrait pour une troisième fois à l’asile qu’il ne devait plus quitter. Louis se mariait et s’installait à Blois.

Fin 1892 Louis avait conservé la maison et gérait avec l’administrateur nommé par l’hospice les biens de son frère. Louis sentait sa fin arriver (il décéda à Blois quatre mois plus tard le 25 avril 1893). Il demanda l’interdiction de François, c’est-à-dire sa mise sous une tutelle qui préserverait ses biens et assurerait le paiement de son internement. Le Tribunal de première instance de Tours, le Juge de paix de Vouvray et un conseil de famille validèrent la proposition. Un interrogatoire conduit le 5 janvier 1893 révélait un François actif mais ayant perdu toute mémoire ancienne : il affirmait avoir été marié (ce n’était pas le cas), ne savait pas s’il avait eu des enfants, ignorait si sa mère était vivante (elle était décédée depuis 22 ans). Il répétait : « il y a de cela trop longtemps » !

Le 21 décembre 1897 il décédait à l’hospice qu’il n’avait plus quitté depuis 39 ans.

L’héritage artistique de François Gangneux

Nous ne connaissons de lui que les quelques sculptures sur les murs de son atelier, que le temps et les occupants n’ont pas trop abîmées. Mais surtout il nous reste la grande statue de saint Georges tuant le dragon qui trône dans la chapelle de Saint-Georges. Il fallait bien un monument historique pour servir de magistral écrin à cette sculpture qui, si elle reste un travail d’étudiant d’une grande école, n’en demeure pas moins le témoignage d’une carrière tragiquement interrompue.


3 réflexions sur “François Gangneux, artiste éphémère

  1. Bravo pour votre recherche. L’histoire sans documents est le pain béni de ces universitaires qui savent mieux raconter leur histoire que d’expliquer le pourquoi et le comment des textes cités en note dans un bas de page, invérifiables pour le lecteur le plus avisé.

    La précision reste une maladie dont Jean de La Fontaine fit son éloge dans les Animaux malades de la peste.

    L’acte de l’existence de la chapelle de Vaufoinard précise qu’elle est un troglo, pour reprendre votre terme.

    Bien à vous.

    denis jeanson

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