les bâtiments des religieux sont d’une architecture assez médiocre, (…) ne montre qu’un assemblage de parties mal-entendues et désagréables à l’oeil.
première impression corrigée par la visite de ces bâtiments :
l’intérieur (…) est plus intéressant : on y remarque un dortoir assez beau, des cellules bien distribuées, une apoticairerie, un réfectoire et une salle de conversation. (…) L’église de ce monastère est le seul ouvrage remarquable par son antiquité, par son élévation, par sa grandeur et par la solidité de sa construction. Cette église est aussi précédée d’un portique ancien, d’une structure hardie.
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L’abbaye de Marmoutier. Dessin de Gaignières, 1699. |
Arrivée à Rochecorbon
Au bord de la Loire, environ une lieue en deçà de la ville de Tours, je fus frappé par un spectacle qui me parut aussi singulier que pittoresque. C’est une chaîne de montagnes d’une étendue considérable, d’environ 100 pieds d’élévation (environ 30 mètres), montagnes composées de lits de pierre tendre, dont chaque banc porte 25 à 30 pouces de hauteur (environ 60 à 75 cm). Dans cette montagne, presque à pic du côté de la rivière (la Loire), sont pratiquées de habitations de différentes espèces, telles que des antres et des cavernes où demeurent des vignerons et des laboureurs, des maisons bourgeoises assez commodes, et des châteaux d’une certaine importance ; ces derniers sont même ornés de terrasses, des grands escaliers, de jardins et de toutes les commodités utiles à la vie.
Curieux, piqué par sa surprise, Blondel va visiter plus attentivement les lieux :
Etonné de ce spectacle, je désirai de voir une de ces demeures souterraines. Je me fis conduire dans celle qui me parut la plus intéressante. En effet en y entrant je fus surpris d’y trouver 5 à 6 pièces de plein pied à chaque étage, toutes pratiquées en pleines carrières et dont les assises servent de plancher pour séparer les chambres hautes d’avec les basses. J’y remarquai aussi des grandes ouvertures que l’on avait fait exprès sur le talus de la montagne, pour y construire ensuite des murs de moellons à plomb (verticaux), après avoir observé néanmoins des croisées d’une grandeur proportionnée aux pièces des appartements ; mais ce qu’il y a de plus singulier, c’est que la plus part de ces pièces contiennent des cheminées dont les tuyaux, percés en travers de la roche, montent jusqu’au dessus du sommet de la montagne, sur lequel s’élèvent des souches en brique, qui, entremêlées avec les arbres et les vignes qui en couvrent la surface, offrent en dehors une singularité peu commune.
A ce sujet, on pourra se plaire à lire un autre article que j’ai publié sur ce blog, le borgne Boutet, qui raconte la mésaventure d’une personne tombée en 1535 par une de ces cheminées.
Poursuivons le rapport de Blondel qui s’inquiète des conditions de vie de ces habitants :
J’eus cependant peine à concevoir comment les personnes qui habitent ces demeures sombres jouissent d’une certaine salubrité, car à l’exception des pièces qui sont du côté du parement de la montagne, toutes les doubles ou demi-doubles prises dans la profondeur de ces habitations ne sont éclairées que par des faux jours (petites fenêtres creusées dans la cloison) ; on est même obligé , pour rendre ces deuxièmes pièces plus saines, d’enfouiller assez avant dans la roche une troisième absolument sans lumière pour défendre de l’humidité celles qui servent de dépendance aux premières. Enfin dans la maison où j’entrai je remarquai un cellier de plus de 50 pieds de profondeur sur 36 de largeur (environ 15 mètres sur 10), et de 15 pieds de hauteur (environ 5 mètres), sans aucune espèce de point d’appui dans toute cette étendue. Cependant depuis plus de 60 ans rien de cette singulière structure ne s’est démenti, malgré la charge considérable des terres qui sont au dessus.
Mais sur place, en réponse à son étonnement que ces pièce creusées résistent au temps, on va tout de même modéré son enthousiasme :
Malgré l’exemple que nous citons, il me fut cependant raconté sur les lieux qu’il y a environ 30 ans plusieurs maisons souterraines s’écroulèrent et qu’un nombre considérable d’habitants furent ensevelis sous leurs ruines, et qu’il y a environ 12 ans, près de la chapelle des 7 Dormants joignant l’église de Marmoutiers, il s’est encore écroulé quelques habitations de ce genre où il est péri plus d’un habitant.
On lira avec intérêt l’article de Pierre Chaurin sur les éboulements du coteau, publié dans le bulletin municipal de Rochecorbon en octobre 2014. Disponible sur le site de la Mairie.
Blondel conclut alors son texte :
Mais sans nous arrêter à considérer plus longtemps le dedans de ces demeures, finissons cette section par nous rappeler encore une fois son coup d’oeil extérieur, qui offre au regard une multitude infinie d’habitations subalternes confondue avec une assez grande quantité de maisons construites à neuf, mais dont les premières, la plupart sans cheminées, et dont la fumée sortie par l’ouverture de leurs portes et croisées a colorié la surface de cette montagne, dessèche les plantes et les arbres qui en sont voisins. cet ensemble pittoresque, qui forme un contraste singulier avec les façades assez régulières, les terrasses et ces jardins parés des maisons bourgeoises et du château qui, se trouvant entremêlés avec les autres que nous citons, forment un tableau piquant, digne du pinceau du célèbre Vernet.
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Claude Joseph Vernet, Paysage de montagne avec tempête, 1775. |