28 avril 1944 : un avion américain s’écrase à Rochecorbon

Un jeune américain s’engage

1921, la première guerre mondiale est achevée depuis 3 ans quand nait le petit américain Ferdinand Ernest Lefevre dans le comté de Wayne, état du Michigan. Après des études semble-t-il écourtées – il ne suit qu’une seule année universitaire – il travaille comme clerc.

Le 21 juin 1941 il a 20 ans et se présente à Detroit (Michigan) pour être engagé volontaire, le 8 décembre 1941 il est appelé. Le 6 avril 1942 il signe un enrôlement pour toute la période à venir de la guerre plus 6 mois. Son dossier n° 16062160 précise qu’il mesure 68 pouces (1,73 m) et pèse 131 livres (59,5 kg), il est célibataire. Son matricule est le 0-746131.

Il part en formation au 20th Fighter Group en Californie.

 

Le 1er lieutenant Ferdinand E Lefevre posant devant son avion. 1944.
L’arrivée en Angleterre
Un an plus tard, le 26 août 1943, son groupe s’installe sur une base anglaise à King’s Cliffe dans le Northamptonshire, à environ 100 km au nord de Londres. Ce groupe avait été précédé par le 347th Fighter Squadron fin 1942 et le 56th Fighter Group en janvier 1943.
Son groupe est constitué de 3 escadrons, le 55th Fighter Squadron, le 77th Fighter Squadron et le 79th Fighter Squadron auquel appartient Lefevre.
État-major de la base de King’s Cliffe.
Les premières missions de la base sont d’accompagner des vols de bombardiers, fin 1943 le groupe est doté de nouveaux avions américains, des P-38.
Avions P-38 filmés à King’s Cliffe. Lefevre y figure-t-il ?

 

La vie sur la base n’est pas extraordinaire : les terrains sont souvent boueux, la base est éloignée des villes, les conditions de vie sont sommaires.
Cantonnements américains de King’s Cliffe.
Après 3 mois d’entraînement les premières missions d’accompagnement sur le continent sont réalisées à partir de mars 1944.
La salle des cartes de la base américaine de King’s Cliffe. On y aperçoit le trait blanc vers la Touraine.

Les premiers entraînements sont délicats, de nombreux accidents trahissent la jeunesse et l’inexpérience des 132 pilotes. Mais cela n’entame en rien leur volonté et leur courage.

 

Tableau d’affectation des pilotes.
Rapidement ils vont acquérir une solide réputation dans la destruction de locomotives, ce qui leur vaut d’être surnommés le « Loco Group » à l’issue d’une opération menée en Allemagne centrale le 8 avril 1944, au cours de laquelle furent détruits de nombreux convois ferroviaires, mais aussi bien d’autres cibles au sol : du matériel ferroviaire (aiguillages, hangars, ateliers), des installations pétrolières, des centrales électriques, des usines,…
A leur retour de mission tous les pilotes font leurs rapports qui permettent ensuite au service statistique de faire le bilan des opérations : objectifs atteints, munitions consommées, pertes.
Le service statistique et ses « superbes » bureaux de King’s Cliffe.
Les avions sont équipés de caméras. Aussi après vision des films les pilotes peuvent ajuster leur rapport. Ce sera le cas pour Lefevre lors de cette opération du 8 avril sur l’Allemagne : dans un premier temps il déclare avoir touché deux avions allemands Junker au sol, l’un probablement détruit et l’autre endommagé, mais après visionnage du film il constate que ces deux avions ont bien été détruits.
Le rapport corrigé fait donc apparaître pour cette journée 3 avions détruits, 1 en vol et 2 au sol, 2 locomotives endommagées ainsi que divers bâtiments.
2e rapport rectifié de Lefevre (orthographié ici Le Fevre) pour la journée du 8 avril 1944.
Source.

Le P-38

Cet avion est étudié à partir de 1935 sur la base d’un cahier des charges défini de la façon suivante :
– bimoteur devant comporter de nouveaux moteurs turbocompressés,
– capable de vols en haute altitude pour accompagner ou intercepter les bombardiers,
– capable d’un long rayon d’action.
C’est Lockheed qui développe et construit cet avion baptisé P-38 Lightning. Lefevre pilote un P-38L-LO aux caractéristiques améliorées avec notamment de plus gros réservoirs et des commandes assistées.

 

P-38 en préparation sous son hangar de King’s Cliffe.

Les plus longues missions que l’escadron réalisera avec ces avions ont été des missions d’accompagnement de bombardements sur Bordeaux, à 2000 km de leur base, soit 4000 km aller-retour avec le même plein, montées, descentes et attaques comprises !

 

Plan écorché d’un P-38. Source.
Les jeunes pilotes apprennent à maîtriser ces engins, non sans quelques difficultés dont quelques atterrissages manqués ! Plusieurs aussi se tueront lors des entraînements.

 

L’avion de Fernand E. Lefevre portait le numéro de série 42-68035, modèle de type exact P-38J-10-LO.

Note : c’est sur le même type d’avion qu’Antoine de Saint-Exupéry disparaîtra au dessus de la Méditerranée le 31 juillet 1944.

La mission du 28 avril 1944

C’est sur la base de sa réputation naissante que le groupe est retenu pour un raid visant la gare de Saint-Pierre-des-Corps. Lefevre est le leader de l’équipe « Rouge » chargée de couvrir le groupe principal, axé sur la gare, en attaquant notamment la base de Parçay-Meslay.
P-38 volant en formation.

 

M. Debelle se souvient :
À Beauregard, juste en face de la piscine, où il y a une terrasse, il y avait un préfabriqué où logeaient des artilleurs de la Flak (défense aérienne allemande). Ils avaient au moins 3 pièces de DCA au dessus de Saint-Georges, après la côte du Peuplier, dénommée ainsi à cause d’un énorme peuplier d’Italie qui y prospérait, à la Cholterie juste avant Montgouverne. C’était des canons de 88 (88 mm de diamètre) et je peux vous dire que lorsque ça tirait, les éclats retombaient jusque sur les maisons et les jardins de Beauregard. Il ne faisait pas bon de rester dehors.
Il y a avait aussi à cet endroit un énorme projecteur pour éclairer les avions la nuit. Les allemands avaient aussi creusé tout autour des trous équipés de mitrailleuses pour protéger le site.

On voyaient les allemands monter en rang d’oignons pour la relève de l’artillerie.

À Champlong, au niveau de l’autoroute actuelle, il y avait des canons de 20 ou 30 mm et entre Chatenay et Mosny il y avait un énorme système d’écoute, des sortes d’entonnoirs ou de grands pavillons de phonographes qui permettaient de détecter le bruit des avions qui arrivaient et prévenir la base de Parçay et l’artillerie. Il n’y avait pas de radars à cette époque.

Flak et tout le groupe chargé de la faire fonctionner.

 

En face du Bon Accueil (aujourd’hui L’Oubliette) il y avait un tonnelier, on traversait la Bédoire et il y avait la scierie et la menuiserie de Gaston Buant. C’est entre ces bâtiments, le long de la Bédoire, que s’est écrasé l’avion américain. Pendant des années des morceaux de l’avion sont restés là.
On ne sait pas de façon certaine quelle artillerie a touché le P-38 du lieutenant Lefevre, les gros canons de la Cholterie ou ceux de Parçay-Champlong ? Mais l’avion n’étant plus manœuvrable et son pilote ne s’étant pas éjecté en parachute, l’avion s’est écrasé et son pilote est mort.

Je ne sais pas qui a recueilli le corps et où il fut provisoirement inhumé, mais aujourd’hui il repose dans un immense cimetière américain situé en Belgique, près de Liège, à Neuville-en-Condroz. L’une des 5329 tombes…

Au total, sur l’effectif des 132 pilotes engagés dans la deuxième guerre mondiale, 73 ont été tués en mission.

Le rapport du MACR n° 4416

Le « Missing AirCrew Report » nous informe des circonstances de la disparition du lieutenant Lefevre. Ces documents m’ont aimablement été transmis par Claude Archambault, spécialiste de l’étude des crashs d’avion sur la période 1939-1945.

 

Le premier document est le rapport principal décrivant les objectifs de la mission réalisée, le matériel utilisé et les premières informations de la disparition.

 

On y note notamment que le temps était beau avec une mince couverture nuageuse à 23 000 pieds et une légère brume au sol. Ce rapport conclut à la probable destruction du moteur gauche de l’avion.

 

Le deuxième document est le rapport du second lieutenant Rodney P. Watson qui était alors l’un des pilotes de l’équipe « Rouge » placée sous les ordres de Lefevre.

 

Traduction de R. Pezzani :

Nous volions dans l’équipe « Avoine Rouge 2 ». Nous étions à l’arrière et au dessus des bombardiers au moment où ils passaient au dessus de la cible. Juste après qu’ils aient jeté leurs bombes je vis la Flak (D.C.A.) frapper l’avion du Lieutenant Le Fevre. Le réservoir de secours gauche explosa et se mit à brûler. Il fit une demi rotation, commença à chuter et se mit en vrille, son moteur gauche crachait une fumée inquiétante, mais après qu’il eut perdu six mille pieds, il commença à reprendre le contrôle de l’avion et stoppa le mouvement de vrille. Il était alors sur une descente à 60 degrés qu’il semblait maîtriser. La fumée s’était réduite à un mince filet. Il se dirigeait vers le nord-est. C’était la dernière fois que je le voyais. Un peu plus tard je regardais vers l’arrière, mais je ne vis aucun endroit où un avion se serait écrasé. »

Avec les diverses informations recueillies, les responsables américains établirent cette carte de l’endroit probable où se trouvaient Lefevre et son avion :

 

 

L’information était juste, mais malheureusement l’avion ne s’était pas posé car  il s’était finalement écrasé à Rochecorbon, à l’est de Tours.

C’est donc probablement la DCA installée en haut de la vallée de Saint-Georges qui avait atteint l’avion de l’américain au moment où il traversait la Loire en direction du nord.

La stèle commémorative

Il semble que la stèle de Rochecorbon fut construite en deux étapes : une première installation provisoire à l’emplacement exact du crash, puis la stèle actuelle en 1986 à un endroit plus approprié, de l’autre côté du terrain de football.

 

Journal municipal de juin 1986.
Chaque année lors de la célébration de la Victoire du 8 mai 1945 on y rend les honneurs d’usage. C’est bien le moins pour remercier ce jeune américain venu se faire tuer à Rochecorbon pour nous libérer du joug nazi.

 

Hommage rendu le 8 mai 2014.

Pour en savoir plus :

  • Claude Archambault a publié plusieurs ouvrages sur les chutes d’avions pendant la guerre. Son dernier ouvrage : Exécutez l’Air Commodore !.
  • un film récent montrant le P-38 permettant d’en bien évaluer la forme originale.
  • le site concernant le 20th Fighter Group Projet, en anglais mais abondamment illustré (plusieurs images de ce texte en proviennent).
  • un autre site toujours en anglais, le 20th Fighter Wing Association nous rappelle que ce groupe qui existe toujours avait connu ses débuts en 1927 en étant équipé … de ballons.
  • Aérostèles, un site en français qui inventorie les stèles et lieux de mémoire aéronautique et qui consacre une page à celle de Rochecorbon.
  • le 5 août 1944 un autre avion P-38 explosait en vol au dessus de Reugny.

 


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