Charles de Changy, mystérieux ingénieur champignonniste

C’est une bien curieuse histoire que je vous présente ici : Charles Changy était un ingénieur du XIXe siècle. Inventeur prolifique, il fut l’un des précurseurs de l’ampoule électrique à filament. Sa vie est peu connue : à ce jour on ne connait de lui ni sa naissance, ni son parcours, ni sa fin, seul son travail de recherche sur l’ampoule électrique a laissé quelques traces.
Cet article va commencer à lever le voile sur ce personnage mal connu, notamment avec un aspect totalement inédit : il a été champignonniste à Rochecorbon !
Naissance tourangelle

François Charles Simonet de Changy est né le 22 juillet 1817 à Saint-Avertin, dans la propriété Le Haut-Fourneau, d’une famille partiellement originaire du Cantal. Il est l’ainé des trois enfants, ses deux frères disparaissent en bas-âge (Constant-Emil né le 15 juillet 1818 et mort âgé de 2 mois, Emil-Constant né le 23 décembre 1819 et mort âgé de 12 mois). Son père Charles Constant Simonet est propriétaire, il possède quelques vignes.
La famille quitte peu après la Touraine au début des années 1820, probablement vers 1824.
Il fait ensuite de brillantes études, notamment au collège Stanislas de Paris, finalement récompensées par un titre d’Ingénieur civil des Mines. En 1858 le grand vulgarisateur des sciences belge, M. Jobard (1), directeur du Musée industriel de Bruxelles, dira de lui :

« un jeune chimiste, physicien, mécanicien et praticien à la fois, M. de Changy est très au courant des découvertes et des instruments nouveaux… »

(1) Son équivalent français à la même époque est Figuier qui écrit de nombreux ouvrages de vulgarisation scientifique.

S’il n’est pas facile de suivre la vie de notre personnage, c’est qu’il va progressivement simplifier son nom : il dépose ses premiers brevets sous le nom « Simonet de Changy » ou « François Charles Simonet de Changy », à partir de 1850 il le simplifie en « De Changy » ou « Charles de Changy » pour finir en supprimant la particule vers 1870 et ne plus signer que « Ch. Changy ».
Il dépose sa première demande de brevet le 28 février 1838. Il n’a que 19 ans et n’a pas encore terminé ses études, il fait ses démarches sous le nom de son père, Charles Constant ! Habitant alors à Paris, 15 rue Notre-Dame-des-Victoires dans le 2e arrondissement, il travaille sur un « système perfectionné de fonte et d’épuration des graisses, résines, huiles, etc. », probablement une centrifugeuse permettant d’éliminer rapidement les impuretés par gravité.

À Bruxelles

Ses études terminées il quitte Paris pour rejoindre sa mère (née Élisabeth Goutel-Goutelli) installée à Bruxelles. Cette période belge est féconde. Il travaille comme ingénieur des Mines de Belgique.
En 1844 il cherche un moyen d’éclairer les galeries des mines moins dangereux que les traditionnelles lampes à huile qui provoquent des coups de grisou. Il utilise de très fines baguettes de carbone (« charbon de cornue ») qu’il enferme dans des ampoules de verre. Mais la lumière émise est faible et le matériau est fragile. Ses expériences avancent bien lorsqu’il est sollicité pour un nouveau poste en Angleterre.

À Londres

En 1847 il est recruté comme ingénieur en chef des mines de Weal-Ocean et de WealRamoth. Il s’installe à Londres, Tavistock-street à Westminster.

L’ingénieur Changy expérimentant une lampe à incandescence 
dans une mine.

Cette période est plus discrète. Il doit certainement poursuivre ses recherches mais plus lentement. Par exemple je n’ai pas trouvé de brevet ou de publication concernant cette parenthèse anglaise.

Retour à Bruxelles et Paris : sa carrière anéantie par l’Académie des sciences française

Vers 1855 il revient à Bruxelles, au 617 rue du Jardin d’Idalie, auprès de sa mère en mauvaise santé : on la dit mourante mais ne décèdera qu’en fin d’année 1864 !
Dès son retour en terre belge il reprend ses expérience. L’Académie des sciences en France est informée des formidables travaux de l’ingénieur expatrié. Le physicien Henri Becquerel prend contact avec Jobard qui se retourne vers Changy. Ce dernier n’a pas finalisé ses travaux, mais il a fait une découverte de taille : « la divisibilité du courant galvanique ». Qu’est-ce donc ? En fait jusqu’à cette époque on ne savait produire de lumière avec le courant électrique qu’au travers des arcs électriques qui donnaient un point très lumineux, éblouissant. L’idée était alors de chercher à étaler la surface de la lumière émise. Ce que Changy fait en faisant briller un filament de carbone, puis un filament de platine. Mais son invention n’est pas stable, et souvent le fin fil de platine fond. N’ayant pas encore trouvé la solution, il ne souhaite pas parler de ses travaux tant que le brevet ne sera pas déposé. À cette époque il est déjà titulaire de 52 brevets.

Première lampe à incandescence de Changy, 
presque grandeur nature. Au milieu, en sombre,
un mince barreau de carbone.

Le professeur Jobard, émerveillé des premiers résultats obtenus, en informe l’Académie le 17 février 1858 par une notice succincte. Le physicien Becquerel réclame quelques détails. Jobard lui répond :

« Si l’Académie, qui ne considère que l’intérêt de la science, n’a pas trouvé ma notice plus explicite, on ne doit s’en prendre qu’au défaut de garantie de la propriété des inventeurs… »

et il complète :

« Si les inventions communiquées à l’Académie valaient des brevets définitifs ou provisoires, comme celles que l’on met aux expositions officielles, l’Académie n’aurait plus à se plaindre d’aucune réticence de la part des inventeurs. »

Becquerel comprend, mais son collègue Despretz (2) est impitoyable :

« Monsieur de Changy, voulant faire de son invention un objet de lucre, ne mérite pas le nom de savant. »

(2) Quelques années plus tard, le même Figuier écrira à propos de Despretz :

« J’ai beaucoup connu Despretz, le père Mansuette comme nous l’appelions, parce qu’il s’appelait de ses prénoms César Mansuette, ce qui n’était pourtant pas sa faute. Il est mal, assurément, de médire ses professeurs mais M. Despretz -Dieu veuille avoir son âme !- était lourd comme une locomotive et épais comme le mont Blanc. C’était un paysan du Danube universitaire. Il avait une grosse tête, de gros yeux, de gros sourcils, de grosses mains, de grosses épaules, et il marchait dans de gros souliers. »

qu’il modérera en rappelant que si Despretz avait été un professeur médiocre, il avait laissé de bons souvenirs comme physicien.

Il n’empêche que Despretz demande que l’Académie n’examine plus les travaux de Changy et que le secrétaire perpétuel, M. Flourens, refuse l’insertion dans les Comptes rendus de l’Académie de toute note concernant cette invention.

Notoriété internationale des travaux de De Changy.
Sans cette intervention malheureuse l’ampoule électrique serait née bien avant celle d’Edison en 1879, et elle aurait été française et non américaine…Car Charles de Changy est profondément affecté par la position fermée de l’Académie. De plus, l’idée qu’il avait de remplacer dans les mines les lampes à huile par des lampes électriques ne rencontre pas de succès. L’ingénieur en chef des Mines de Belgique, M. Devaux, lui écrit :

« Votre lampe a un défaut : elle est parfaite. La lampe de Davy [lampe à huile dont la flamme est entourée d’un grillage fin pour éviter sa propagation au grisou] avertit de la présence du gaz parce que sa flamme s’allonge quand le grisou existe dans la mine. Alors, l’ouvrier, prévenu par ce phénomène, se hâte de sortir de la galerie. »

Il abandonne dès lors ses expériences sur les ampoules et ne les reprendra que bien plus tard, trop tard.

En 1865 il se marie avec la toute jeune Jeanne Joséphine De Deyn (elle a 22 ans, lui 48, il a le même âge que son beau-père), puis revient avec sa belle famille près de Paris, à Viry-Châtillon au sud de Paris. Son premier enfant Constant Aimé Charles François Louis nait le 23 janvier 1866, il est d’une constitution fragile. La santé du jeune enfant devenant préoccupante, son père se souvient de sa jeunesse et du doux climat tourangeau.

Portrait de De Changy, vers 1860,
lorsqu’il était à Bruxelles.

À Rochecorbon

En 1871 toute la famille vient s’installer à Rochecorbon, dans la propriété « Le Crochet (3) » : le recensement de 1872 relève ainsi le père de famille Charles de Changy, 55 ans, ingénieur civil, sa femme Joséphine Dedeyn 29 ans, d’origine belge devenue française par mariage, leur fils Constant de Changy 6 ans, le beau-père François Dedeyn 55 ans et la belle-mère Élisabeth Goos 50 ans, tous deux belges.

(3) Pour en savoir un peu plus sur la propriété du Crochet, logis seigneurial de la châtellenie de Vosnes-Le Crochet, puis après révolution française mairie et école, voir notre article sur l’école.

Le Crochet, dans la rue Lebled à Rochecorbon.
Son intention est de monter une usine pour l’extraction et la purification des huiles de colza. Mais les appuis et financements sur lesquels il comptait lui font défaut. Il se résout alors à expérimenter certains procédés qu’il venait de découvrir, notamment pour la fabrication d’une nouvelle pâte à papier en rouleau utilisé dans les imprimeries et pour le traitement et blanchiment de la glycérine industrielle et pharmaceutique.

De tout temps les carrières creusées dans la pierre de tuffeau des coteaux rochecorbonnais ont inspiré les champignonnistes, amateurs ou professionnels. Changy n’échappe pas à la règle et entreprend la culture des champignons, dans la partie troglodytique de sa maison et dans une cave qu’il loue à Vauvert. C’est sous cette activité de champignonniste qu’il est alors connu dans la commune de Rochecorbon.
Il perfectionne la mise en conserve de ces champignons et dépose un nouveau brevet le 23 février 1874, sous le numéro 102 286 intitulé Genre de conserves alimentaires.

Mais les affaires marchent mal car si Changy est un ingénieur émérite il maîtrise moins la commercialisation de sa production. Dès le mois de décembre 1873, sa situation étant tendue une première réunion avec ses créanciers est organisée. Le 25 mai 1874, suite à plusieurs poursuites, il est obligé à déposer le bilan. Le Tribunal de commerce de Tours prononce alors la faillite le 24 juillet 1874.

Parmi les 35 créanciers, on peut relever :
– Barreau, Firmin & Colas, fabricant de boîtes à conserves à Nantes (1 043 francs)
– Blot Alphonse, banquier à Tours (4 500 F)
– Brédif, jardinier à Rochecorbon (215 F)
– Davenat, entrepreneur de voitures à Tours (600 F). C’est ce même Davenat qui en 1880 proposera de construire le tramway de Tours à Vouvray.
– Gautier, couvreur à Rochecorbon (1 067 F)

– Grimault, négociant à Doué-la-fontaine (1 018 F)
– Marcault, propriétaire et voiturier à Rochecorbon (1 550 F)
– Nivert, docteur en médecin à Tours (300 F)
– Torade, maçon à Rochecorbon (846,40 F)
soit une dette totale de près de 27 000 francs.
Changy loue sa maison du Crochet à M. Mabille, il n’en est pas le propriétaire. Dans son actif financier on trouve la machine à vapeur pour fermer les boîtes, une bassine en cuivre avec serpentin pour stériliser, un cheval de voiture, son maigre mobilier (4),… pour un total de 20 000 francs. Figure aussi une usine, vendue à l’amiable. Je ne connais pas la localisation exacte, mais elle semble se situer près de la cave de Vauvert. Pour le reliquat il propose d’abandonner aux créanciers son dernier brevet.
(4) L’inventaire du mobilier existe, il nous enseigne sur la constitution d’un intérieur bourgeois campagnard de cette époque. On y trouve deux chaises en velours d’Utrecht rouge, une cage à serins, une douzaine de verre à champagne mousseline, trois lampes à pétrole, un moulin à café à noix horizontale, un billard anglais, différents jouets d’enfant (3 francs !), 3 caleçons, 6 paires de chaussettes,… Quelques tableaux, propriétés du beau-père, échappent à l’inventaire.

Photographie de Charles Changy, 
tel qu’il a été connu à Rochecorbon.
Retour en région parisienne
Peu après la faillite toute la famille repart à Paris. Changy a apprit de son épisode rochecorbonnais : dorénavant les brevets seront établis presque tous établis au nom de son épouse !

Sous le nom de Mme de Changy on trouve des brevets concernant des brosses et paillassons (01/12/1877), un nouveau genre de piles électriques (08/12/1881), un autre nouveau genre de piles électriques (13/06/1882), un système de bain électrolytique (03/11/1883), et des recherches concernant l’éclairage électrique telles que l’éclairage domestique (09/12/1880), un nouveau charbon pour l’éclairage électrique (09/06/1881 et 06/10/1881),  l’éclairage des wagons de chemin de fer (19/10/1881), les tubes lumineux (23/12/1881), piles électriques (03/11/1883), le perfectionnement des lampes électriques à incandescence (18/02/1884) et plus tard avec probablement un de ses fils un procédé de séparation électrolytique de l’étain (10/02/1891), un système de roue à garniture élastique intérieure pour vélocipèdes (27/10/1891) et un système de préparation chimique des filaments pour lampes électriques à incandescence (03/08/1893).

On ne retrouve plus son nom après 1893. Peut-être est-il même disparu avant…

Si l’on ne connaissait pas grand chose le concernant, j’espère que cet article aura permis d’éclairer plusieurs aspects de cette personne à la vie bien méconnue.

Pour en savoir plus

Vous l’avez compris, les informations concernant Charles de Changy sont rares et extrêmement parcellaires.
– sur Gallica Figuier parle des premières recherches sur l’ampoule à incandescence.
– toujours sur Gallica les premiers brevets de Simonet de Changy.

– explorer ce blog (dans la colonne de droite Articles publiés) notamment celui sur l’école et celui sur les habitations troglodytiques.
nouveau fin 2013 : mon article sur Wikipedia.

Une réflexion sur “Charles de Changy, mystérieux ingénieur champignonniste

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