« La Belle et la Bête » : Rochecorbon, au coeur du fantastique

Cet article sur « la Belle et la Bête » sera suivi d’un second concernant toujours Rochecorbon : il relatera comment une partie de la jeunesse du bourg a vécu ce tournage en 1945.

Plusieurs dates anniversaires nous rappellent le tournage de « la Belle et la Bête » à Rochecorbon.

L’année 2013 se souvient que Jean Cocteau est décédé il y a cinquante ans, 2015 sera marqué par les 70 ans du tournage de ce film culte qu’est « la Belle et la Bête » au moulin de Touvois, et entre les deux, le 11 décembre 2013, Jean Marais aurait eu cent ans. Le film comme ses participants ont honoré Rochecorbon en mettant en valeur cette richesse de notre patrimoine qu’est le Moulin de Touvois. C’est notre tour, en profitant de ces dates anniversaires de leur rendre hommage.

Intervention de l’actrice Betty Daussmond

Betty Daussmond, qui vivra au manoir « Le Jour » à Rochecorbon,  dans un film de Sacha Guitry, « Le nouveau testament ».

Le fait d’avoir retenu le Moulin de Touvois comme « maison de la Belle » et d’y placer la première partie du film ne semble pas être lié au hasard. Josette Piednoir, témoin de cette période raconte que Jean Cocteau avait été orienté vers ce choix par Gaby Daussmond. Elle était une actrice célèbre, interprète de Marcel Pagnol et Sacha Guitry. Elle connaissait bien Rochecorbon, puisqu’à cette période elle louait la maison « Le Jour » à l’entrée du bourg ; cette maison actuellement résidence de Mme Ménie Grégoire était alors la propriété de son père Maurice Laurentin. D’autres l’ont croisée lors de ses séjours dans le bourg, en particulier Élisa Viot qui se rappelle parfaitement le personnage.
Le Moulin de Touvois tel qu’il apparut à Jean Cocteau. Photo P. Olivier.

Arrivée de Cocteau au « manoir » de Touvois, le 16 août 1945

Cocteau raconte cet épisode dans le journal qu’il tenait alors :

« En Touraine la Loire coulait sous un soleil pâle de soleil. Rochecorbon. Je retrouve ce minuscule manoir en contre-bas que la chance m’a fait trouver au moment des préparatifs… La barrière au bord de la route ne payait pas de mine. Nous faillîmes ne pas descendre de voiture. L’homme qui l’habite ressemble au marchand du conte… En outre, les ferrures qui servent à attacher les chevaux représentent une bête fabuleuse. Voici les fenêtres des sœurs méchantes, les portes, l’escalier, le lavoir, le verger, l’écurie, la niche du chien, les arrosoirs, les tomates qui sèchent sur le rebord des fenêtres, les légumes, les bûches, la source, les volailles, les échelles. Tout est à sa place… ».
Affiche du film.

LE FILM.
D’après Jeanne-Marie Leprince de Beaumont
Scénario et réalisateur : Jean Cocteau
Producteur : André Paulvé
Conseiller technique : René Clément
Prise de vue : André Alekan
Direction artistique : Christian Bérard

Avec :
Jean Marais
Josette Day
Mila Parely
Nane Germon
Michel Auclair
Marcel André…

Le tournage : une succession de contre-temps

Le tournage commence dès le lendemain le 17 août : « Journée de démarrage très dure, par un temps admirable qui s’est couvert à 5 heures. Il faisait assez lourd. Je luttais contre le vin que le maître de la maison me force à boire avec l’eau d’une source si claire que les bêtes si trompent et croient la cuve vide… ».

Cocteau organisant les prises de vue de la Belle et la Bête.

Cocteau est pressé de tourner, mais les contretemps s’accumulent. Il est arrivé dans un état physique amoindri. Il souffre de deux anthrax contractés suite à des piqûres de moustiques sur des coups de soleil (il revient de vacances). Il devra avoir recours à la pharmacie de Rochecorbon, et Josette Piednoir se souvient d’un homme plutôt revêche et peu affable.

Devant la ferrure représentant une bête fabuleuse, qui avait tant impressionné Cocteau.

Problème avec la météo

Le temps, souvent trop nuageux, gêne ou interdit les prises de vues. Cocteau vivra son séjour dans l’impatience de rayons de soleil propices et dut composer avec les éclaircies : cette frustration permanente fut inutile, car le film bénéficia, ainsi, d’une lumière douce mettant en valeur la beauté des images. Il reconnaitra à postériori : « Je me félicite d’avoir eu des nuages. C’est la gloire du ciel de Touraine. Même si le soleil les évite, il donne à la lumière une élégance de perle. ».

Les avions de Parçay perturbent les prises de vue

Les malédictions du temps sont accompagnées de la pollution sonore provoquée par le voisinage de la base de Parçay-Meslay. Au moindre rayon de soleil il se trouve un pilote pour décoller et faire ses acrobaties aériennes à proximité. Les vrombissements des moteurs perturbent les prises de sons et plusieurs fois il faudra recommencer l’enregistrement des rushs. Cocteau est furieux, il écrit : « J’oubliais les avions. Lorsque les lumières du gros plan de Mila étaient prêtes, un avion de l’école nous survolait, exécutait des loopings, empêchait la prise sonore. J’ai fait téléphoner au colonel du Centre pour qu’on demande aux élèves d’éviter ce genre de caracoles un peu ruineuses. Il nous l’a promis… ».

Mais en vain car le dérangement provoqué par les avions voire les « superforteresses » se renouvellera.

La base aérienne de Parçay-Meslay qui posa tant de problèmes à Jean Cocteau.

L’actrice Mila Parely se blesse dans un accident de cheval

Les incidents se multiplient : le premier vendredi, se produit l’accident de Mila. « Elle voulut monter Aramis. Devant la maison où personne de nous, ne pouvait la surprendre, elle a dû essayer de cabrer ce cheval de cirque et tirer sur sa bouche. Le cheval s’est renversé sur elle. C’est un miracle, si elle n’est pas morte. On l’a transportée à Tours. Elle est très brave et elle crâne. » Elle est soignée par le Docteur Vialle. Il faut l’hospitaliser, faire des examens. On craint une fêlure du bassin. Par bonheur il n’en est rien : Mila s’en sortira avec des contusions et quelques difficultés physiques temporaires, mais le film peut continuer car s’il avait fallu la plâtrer le film s’effondrait. 

Aramis et sa cavalière Josette Day.

Troubles de santé de Jean Marais

Jean Marais, Jeannot comme l’appelle parfois Cocteau, n’est pas épargné. Le jour de l’accident de Mila un furoncle se déclare sur sa cuisse. Au bout de quelques jours il se transforme en anthrax et prend des proportions importantes. Jean Marais ne peut marcher que difficilement. Il doit monter à cheval et cela est compromis. Le Docteur Vialle devra intervenir et opérer. Jean Marais se trouve immobilisé pour 8 jours !

La guerre vient de se terminer, on manque de tout 

Tout se déroule dans un contexte économique difficile. La guerre n’est terminée que depuis quelques mois et tout manque. N’oublions pas que Tours à été fortement touchée par l’arrivée allemande en juin 1940 et les bombardements alliés de 1944. Le cœur de la ville est détruit, rasé. Le 1er et 2 septembre on fêtera durant le tournage l’anniversaire de la libération de Tours. Il est difficile de trouver les accessoires nécessaires. Pour les costumes, on profite du fait que le film est tourné en Noir & Blanc : on ne prend pas en compte les couleurs pour le choix des étoffes, on prend ce que l’on trouve. On pensait utiliser pour le début du film les arbalètes du musée de Tours : elles s’avèrent incapables de fonctionner et sont remplacées par des arcs improvisés.

Le travail rigoureux et pointilleux de Cocteau

Préparation de la scène « des draps ».

Une des scènes majeures que veut tourner Cocteau est celle « des draps ». À lire son journal, cette scène est, pour lui une obsession : il y revient en permanence inquiet pour la mise en place, trouver la meilleure place dans l’enclos du moulin, par le moindre fil d’étendage. Il s’inquiète pour trouver les draps eux-mêmes, met en chasse son équipe. Sollicite le propriétaire des lieux qui se montrera coopératif : « Je dois m’occuper de tout, épingler le linge, nouer les perches, trouver les volailles et les pousser dans le décor, construire des ruelles de draps et tendre les découvertes. On n’imagine pas ce que c’est en 1945 de louer douze draps supplémentaires… J’en avais six. Les ruelles et les coulisses se construisent à la demande, ce qui dégarnit le reste et m’empêche de prendre un plan d’ensemble à vol d’oiseau. Au reste je le préfère. Si j’avais à décrire ce labyrinthe de linges, je m’arrangerais pour que le lecteur s’y perdit… ».

Manifestement, ce passage du film fait partie de la symbolique de Cocteau. Combien de fois fait-il flotter les étoffes au cours de son scénario ? L’image s’intègre dans sa volonté d’animer les objets, comme les candélabres ou les visages des statues accompagnant le visiteur intrus dans l’antre de la bête… On verra plus tard s’affronter les experts s’interrogeant si ces images avaient des significations cachées trouvant leur interprétation dans la psychanalyse ou dans le Surréalisme.

Cocteau aime le jeu des étoffes dans la lumière et le vent : il cherche en permanence à rendre vivant les objets et décors.

L’équipe de tournage s’est installée dans Tours, à l’hôtel de Bordeaux, et quotidiennement se déplace en voiture à Rochecorbon.

Les propriétaires du moulin

Quelles sont les relations avec le propriétaire des lieux, M. et Mme Lecour-Lorenzi ? (Mme Lorenzi sera membre de la SAT) Cocteau en souligne l’affabilité et en particulier au travers du repas qu’on prépare pour l’équipe de tournage : il parle de « déjeuner fastueux au manoir ». « Un autre jour le propriétaire me fait servir des huîtres… ». Mais finalement on parle argent. « Les propriétaires de Rochecorbon touchent quatre-vingt mille francs pour quinze jours. À partir de cette date limite, ils touchent cinq mille francs par jour… Une journée de pluie nous coûte cent mille francs… ».

Scène à l’intérieur du moulin : les propriétaires gardèrent le souvenir du désordre que provoqua le tournage dans le moulin.

L’équipe de tournage apprécia son séjour à Tours et à Rochecorbon

Mais manifestement l’équipe apprécie son séjour tourangeau et s’intègre dans la vie locale de Tours ; on fréquente la guinguette du bord du Cher, les caves de Rochecorbon et le 2 septembre lors des fêtes marquant la libération de Tours. « Jean Marais a dansé, avec Josette Day, puis est monté sur le bord du bassin de la place Jean-Jaurès et il a plongé dans l’eau tout habillé sous les applaudissements nourris de la foule. » (fait rapporté par le journal La Nouvelle République du 9 octobre 1996).

Et, lorsque le tournage à Rochecorbon se termina, Cocteau lui-même signala : « J’étais triste. J’avais pris l’habitude d’y vivre et d’y inventer la vie. Un vin d’or y coulait de source. Les machinistes en consommaient un nombre incroyable de bouteilles. Aldo m’invitait dans les coins. Il préférait une bouteille très rare et de la partager suivant son cœur… ».


À en croire les souvenirs laissés dans la mémoire de bon nombre de Rochecorbonnais, l’équipe de tournage profita effectivement du nectar de Rochecorbon et termina beaucoup de journées dans les caves de la vallée. Celle des Gasnierà Vaudasnière fut particulièrement explorée ! l’équipe étant encouragée par la gentillesse du propriétaire et la qualité de sa production.

L’accueil du film par le public

Le film rencontra le succès que nous lui connaissons. Il a gardé toute sa fraicheur, sa poésie, son fantastique. Il est devenu un des monuments du cinéma international. Tout était en rupture avec les règles du cinéma, que ce soit la musique d’Auric, la cinématographie d’Alekan. le choix des lieux de tournage autant pour la maison de la Belle à Rochecorbon que le château de la Bête.

Le film réussit à développer une impression de magie et d’ensorcellement. Et pour l’amplifier on cherche à reproduire par la technique cinématographique les gravures de Gustave Doré et, dans les scènes de ferme, les tableaux de Vermeer. Les costumes et particulièrement le maquillage de Jean Marais (il fallait trois heures de maquillage rien que pour le visage, sans les mains) impressionnent et percent l’écran. Cocteau joue avec les contraires : Jean Marais « qui était considéré alors comme l’homme le plus beau du monde » est le monstre effrayant au comportement cruel et bestial. Il se transformera finalement en « Prince ».

Séance de maquillage de Jean Marais.

Cocteau montre ainsi combien il est difficile de séparer le rêve de la réalité. Et Rochecorbon participe à la création de ce fantastique.

Nous pouvons encore nous laisser envoûter.

Au générique du film.

…Il était une fois…..

Pour en savoir plus 

– tout d’abord regarder le film ! surtout dans sa nouvelle version remastérisée.
– de Jean Cocteau : son livre retraçant ses mémoires du tournage, La Belle et la Bête, journal d’un film.
– le livre de Gérard Coulon « la Touraine au cinéma, un siècle de tournage » paru aux Éditions Alan Sutton, déc. 2008.
– quelques sites:
                    – http://www.oldwishes.net/tales/?p=783
                    – https://www.google.fr/#q=la+belle+et+la+bete
                    – http://www.jeancocteau.net/


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