Paul Colonnier, instituteur de 1856 à 1875

En continuation de l’intéressant article sur l’école de Rochecorbon publié par Robert Pezzani dans le bulletin municipal de Rochecorbon d’octobre 2013 et disponible sur notre blog l’histoire d’un de ses instituteurs méritait d’être racontée dans ce blog. De ses 20 années passées à Rochecorbon, il laissera le souvenir d’un instituteur atteint de surdité mais travailleur et ayant publié des cahiers de conjugaison qui ont fait référence.
Ce texte n’aurait pas été écrit sans la contribution décisive de Jean Yves Pelletier, généalogiste et historien canadien qui a enquêté sur la famille Colonnier et m’a communiqué ses travaux. Qu’il en soit vivement remercié ici.
Avant son arrivée à Rochecorbon
Pierre Paul Colonnier nait le 8 octobre 1823 à Fréteval dans le Loir-et-Cher. À l’issue de ses études à Orléans il décroche le Brevet de capacité à l’Instruction primaire élémentaire sanctionnant son aptitude à enseigner « l’instruction morale et religieuse, la Lecture, l’Écriture, les Éléments de la langue française et du Calcul, le système légal des poids et mesures, les premières notions de Géographie, et de l’Histoire, ainsi que sur les procédés et les méthodes d’enseignement de ces diverses connaissances ».
Brevet de capacité à l’Instruction primaire élémentaire accordé à Paul Colonnier le 25 août 1842.  
Source Archives Départementales d’Indre-et-Loire.
Après avoir été suppléant à Bléré dès 1840 à l’âge de 17 ans, il exerce à Mettray, Luynes, Tours-Sud, Loches, Richelieu, revient à Tours en 1845, puis retourne à Loches. Après une période de 18 mois sans emploi dans l’éducation, il candidate sans succès à Athée-sur-Cher et Rochecorbon. En 1848 il est à nouveau instituteur, à Montfort-le-Rotrou dans la Sarthe, et arrive au Grand-Pressigny peu après où il enseigne jusqu’en 1856.

Son installation à Rochecorbon

Le 23 août 1856 Paul Colonnier est nommé à l’école communale de Rochecorbon. Il s’installe avec sa famille nombreuse : le couple aura 7 enfants (Marc, Raphaël, Marie, Hélène, Éphrem, Paul et Charles).
En tant qu’instituteur érudit et maîtrisant l’écriture il assure le secrétariat-greffe de mairie et signe les actes d’état-civil.
Trois ans après, c’est son épouse qui est nommée institutrice pour les filles.
Ils habitent dans le bâtiment de la mairie dont la majeure partie est réservée pour les logements des instituteurs. Le couple occupant le logement de l’instituteur et celui de l’institutrice, la place est suffisante pour les enfants.

Photographie de la famille Colonnier dans les années 1860 : 
Paul Colonnier debout, Marie Colonnier née Petit-Signe assise, 
un des enfants et la gouvernante (?) « Mentine ». 
Collection famille Colonnier, Ottawa, Canada, image 
aimablement transmise par Jean Yves Pelletier.

L’école, qui est aujourd’hui la salle des fêtes communale, est scindée en deux : à gauche pour les filles, à droite pour les garçons.

Photographie vers 1878 des enfants Colonnier, 
probablement avec la domestique Marie 
Berthelot, native du Grand-Pressigny.
Collection famille Colonnier, Ottawa, Canada, 
aimablement transmise par Jean Yves Pelletier.

Un instituteur compétent et créatif

Dès son arrivée à Rochecorbon il met en place un ingénieux système de notation des élèves : sur une échelle graduée il déplace un pion d’un cran vers la droite si l’élève a bien travaillé, ou d’un cran vers la gauche en cas de discipline. Le pion est noir s’il est à gauche, blanc s’il est sur la droite. Sa méthode disciplinaire fait l’objet d’un article élogieux dans le Journal des Instituteurs : « L’élève marqué doit être nommé à haute voix, et l’on doit ajouter en un ou deux mots la cause de la punition. Toute réponse de l’élève ou réclamation est interdite pendant la durée de la classe ; mais, tout le monde ayant été juge de l’opportunité de la punition, si, à la fin de la classe, quelque élève, ce qui est rare, vient donner une explication, le cas est promptement décidé. ».

Mais c’est par la publication de sa Méthode pratique pour la conjugaison des verbes réguliers et irréguliers qu’il va marquer les esprits du monde de l’éducation. Il édite à son compte 7 cahiers qui frappent par la simplicité et la clarté des explications, bien éloignés des documents existants dispensant un enseignement machinal.

Annonce publicitaire présentant la méthode de conjugaison de Paul Colonnier.

Le Journal des Instituteurs soutient la démarche : « Cette manière d’enseigner la conjugaison donne à l’auteur l’occasion d’exposer succinctement, mais avec netteté et précision, les principales règles de la syntaxe du verbe et du participe. Il montre ainsi en quelque sorte le verbe mis en action dans le langage, en le faisant considérer, sous ses formes multiples, dans une proposition où dans une phrase, et non plus seulement dans une sèche nomenclature, où un temps succède à un temps, un mode à un autre mode, et que l’enfant parcourt avec ennui en voyant alignée sur les pages de son livre cette longue série de temps, qu’il apprend et récite machinalement, qu’il ne peut étudier qu’avec dégoût comme quelque chose qui ne dit rien à son esprit. ».

Vignette jointe aux livrets de conjugaison. 
Source : Archives départementales d’Indre-et-Loire.
Reconnue par toutes les instances – il reçoit même une médaille remise à la Sorbonne – , utilisée par de nombreux instituteurs dans toute la France, cette méthode n’est pour autant pas généralisée par le Ministère. Comment un simple instituteur de province pouvait-il envisager de faire bouger une si puissante institution ?

Enfin, pour citer une autre de ses innovations, dès 1856 il avait mis en place des cours pour adultes, 11 ans avant la loi du 10 avril 1867 dans laquelle le ministre de l’éducation Jean-Victor Duruy les préconisent.

Une école clandestine à Rochecorbon
En 1863, Paul Colonnier et l’instituteur de Parçay-Meslay informent l’Inspecteur que Mme Levaye, épouse du jardinier du château de Villeseptier, y a créé une école illégale puisqu’elle-même ne possède ni brevet ni autorisation. Elle accueille une douzaine d’enfants des communes de Rochecorbon, Parçay-Meslay et Monnaie. Le maire de Rochecorbon porte plainte mais la situation excentrée des lieux rendra difficile la fermeture de cette « école clandestine ».
Le château de Villeseptier (écrit « Villesetier » aujourd’hui) à Rochecorbon, quelques années avant l’incendie qui le détruira le 10 septembre 1919. Collection personnelle.
Un handicap : sa surdité. Une faiblesse : sa santé fragile
Durant cette période l’Inspecteur signale le problème de la surdité de Paul Colonnier, tempéré par le rapport que fait le chef du pensionnat de Montfort-le-Rotrou : « Monsieur Colonnier Paul dirige seul, avec un zèle constant, une classe d’une trentaine d’élèves les plus avancés, qu’il y obtient des résultats satisfaisants, et qu’aucun des enfants ne s’est aperçu de l’infirmité ».
Mais ce point reste une préoccupation permanente, et en 1860 lorsque Colonnier postule pour être Inspecteur primaire, l’Inspecteur écrit au Recteur : « par son instruction en général et surtout par sa moralité il est digne de remplir les fonctions d’inspecteur primaire ». Mais il ajoute « qu’une infirmité physique dont il est atteint, la surdité, jointe à la faiblesse générale de sa complexion, lui rendrait peut-être difficile, malgré tout son zèle, l’accomplissement de tous les devoirs qui incombent à l’inspection primaire ».
De fait la santé ne s’améliore pas et en 1874 le docteur de la commune qui est aussi son maire, Pierre Lebled, constate que son instituteur doit prendre du recul.
Certificat dressé par le docteur Lebled le 27 mars 1874. 
La santé de Paul Colonnier lui impose une période de repos. 
Source : Archives départementales d’Indre-et-Loire.
Le soir d’une carrière

J’ai repris le titre de ce chapitre à Jean Yves Pelletier car il résume élégamment la difficile fin du couple d’instituteur.
Paul Colonnier doit se mettre en congés en 1873, et c’est son fils Marc – encore plus atteint par la même maladie que son père – qui assure l’intérim. Son épouse Marie est elle-même épuisée et commence à souffrir de problèmes de vue.
Le 27 août 1875 le couple est mis, suite à sa demande, en congés pour raison de santé.

La famille se retire alors à Saint-Symphorien. Peu après, le 7 février 1876 Marc décède, puis un an après c’est Paul lui-même qui disparaît le 13 mars 1877, et le 23 mars 1878 le deuxième fils aîné Raphaël.

Paul Colonnier fils

Le 6ème enfant du couple, Marie-Joseph Paul, né le 15 mars 1867 à Rochecorbon, et qui avait fait ses études à l’école de Rochecorbon puis au lycée Descartes de Tours quitte la France pour le Canada en 1886. C’est ce Paul Colonnier qui y sera reconnu pour sa Méthode d’élocution et de déclamation en trois volumes.

Couverture du livre publié 
à Montréal par Paul Colonnier
 fils en 1901.

Ces livres connaîtront un grand succès ; ils seront utilisés dans les écoles, dans les collèges et dans les pensionnats du Canada français et réédités plusieurs fois jusqu’en 1918.

Pour en savoir plus
– le site de la mairie de Rochecorbon où le lecteur pourra télécharger les bulletins municipaux : celui d’avril 2013 à propos du centenaire de la naissance de Pierre Lebled, médecin et maire, ainsi que celui d’octobre 2013 pour y découvrir l’histoire et la vie courante des écoles de la commune à cette époque.
– une situation amusante : c’est Paul Colonnier fils qui, du Canada, transmet à la Société Archéologique de Touraine des informations inédites sur la commune de Saint-Symphorien. À lire sur Gallica.

Mes remerciements renouvelés à Jean Yves Pelletier, véritable co-auteur de ce texte.


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