C’est à une question aussi sensible que celle de « pain au chocolat ou chocolatine » que je vous propose d’essayer de répondre au travers d’un abri rochecorbonnais.

Bon, d’accord, personne ne l’avait remarqué. Comme le dit Eric Monin, historien à l’école d’architecture de Villeneuve-d’Ascq et spécialiste de ce petit patrimoine : « C’est un élément tellement banal qu’on ne le remarque même plus le long des routes ». Pourtant ce petit bâtiment, cet édicule a une histoire qui mérite d’être racontée…

Dans les années 1960 les transports en commun par bus sont en plein développement. Aux arrêts il y a parfois un banc mais non abrité. Certes on savait faire des installations plus élaborées, des kiosques, comme celui du tramway à Rochecorbon :

mais ce type de construction était bien trop cher à construire et à entretenir pour une France en reconstruction après la seconde guerre mondiale.

En 1963 Pierre Andrivaux, un chef d’entreprise de transports en autobus dans l’Indre, constate que ses passagers doivent attendre sous la pluie, il cherche une solution économique. Il s’associe avec un entrepreneur en bâtiment qui se convertissait à des objets préfabriqués en béton armé. Ils fondent la SOCAMEP, Société de Construction d’Abris Mono-bloc et d’Éléments Préfabriqués et avec un ingénieur en retraite ils mettent au point un abri monobloc, qu’ils baptisent « aubette ». Une aubette (ou hobette) était un ancien nom désignant une petite cabane, déjà réutilisé pour des kiosques à journaux, mais ils le choisissent aussi parce que « le nom Aubette est évocateur de la protection des enfants qui attendent le bus à l’aube », comme le rappelait son fils.

À Rochecorbon en 1970 le maire Raymond Lefèvre venait d’obtenir que le bus de la TRT, Transports de la Région Tourangelle, qui passait sur le quai, fasse un crochet dans Rochecorbon devant le Bon Coin (aujourd’hui Coiffure Nadège) comme le font les bus actuels.

Le Conseil municipal souhaite installer un abri et valide l’achat d’un « abri car » auprès de la SOCAMEP.

Le modèle choisi est l’aubette standard, sans banc (un banc y sera néanmoins joint plus tard).

Il est mis en place fin avril. L’installation est très rapide : l’abri est une pièce monobloc, deux trous latéraux permettent de le saisir sur les côtés et le déposer sur une dalle.

Aujourd’hui cette solution simple et efficace a montré également sa solidité puisque plus d’un demi-siècle après l’abri a conservé toutes ses qualités…

Le concurrent des aubettes fut l’entrepreneur Decaux qui mit au point ses « abribus » publicitaires et en déposa la marque. L’Académie française recommande donc d’utiliser aubette et non abribus qui est une marque déposée (https://fr.wikipedia.org/wiki/Abribus).

La prochaine fois que vous passerez dans la rue des Fontenelles, en face du parking de Vodanum, en regardant ce discret morceau de patrimoine moderne, peut-être répondrez-vous à cette question : aubette ou abribus ?

Sources :
• Registre des délibérations de la commune de Rochecorbon 1963-1974.
• Éléonore Brand, L’abri-bus, un nouveau programme dans le paysage routier, mémoire de recherche de l’École Nationale Supérieure d’Architecture et du Paysage de Lille, 2014-2015. http://www.promenade.ch/pdf/album/Abri-bus_EléonoreBrand_2015.pdf consulté le 22 janvier 2025. J’en ai extrait l’image du catalogue.
• carte postale et photographies de l’auteur.