Rochecorbon Port de Loire (une vision du futur)

Avant propos

Le territoire de Rochecorbon est couvert de témoignages de son histoire ou de son évolution; ces témoignages constituent le patrimoine local. Souvent les documents ont disparus et il n’est pas possible de connaitre de façon certaine le passé. Ce constat donne envie de laisser divaguer son imagination, comme le ferait un romancier et de tenter de reconstruire le passé. Peut être est-ce la vérité, peut être pas ; qui peut dire le contraire ? En tout cas cette vision ne fait qu’enrichir la perception que l’on peut avoir des lieux. A vous de juger ! personnellement j’y crois …

Introduction

 La Loire fut durant des Siècles « cette Reine que les Rois ont aimée ». Ils y ont construit leurs demeures, et Rochecorbon s’est développé dans cet environnement prestigieux profitant de la présence du fleuve. Mais Rochecorbon depuis un siècle s’était détourné de la Loire ; le fleuve, avec l’avènement du chemin de fer, avait perdu son rôle de lien de communication, d’échange et de commerce et de rencontre. Les berges autrefois dépouillées d’arbres se sont boisées ; il n’était plus nécessaire de laisser l’espace libre qu’exigeait le chemin de hallage.
Aujourd’hui les arbres ont envahi les berges
Dopés par les engrais lavés dans les terres de la Beauce et apportés par les eaux, frênes et saules ont trouvé un nutriment de choix leur assurant une croissance accélérée. Vite un rideau de verdure s’est tiré entre le bourg et la rivière, fermant la fenêtre sur les berges. Et la Loire abandonnée est redevenue sauvage.

L’homme l’avait abandonné, l’homme la redécouverte et a tenu à l’honorer en classant son paysage dans l’inventaire des Patrimoines de l’Humanité.
Vers 1900 la Loire avait ses berges dépouillées d’arbres laissant libre le chemin de hallage

En prenant conscience que  le paysage a fortement évolué durant des derniers cent ans, serons nous capables de deviner ce qu’il a pu être dans les millénaires précédents?

La Loire à Rochecorbon il y a plus de 10.000 ans !

Durant les 500 000 années qui ont précédé, périodes glaciaires et tempérées se sont succédé avec une périodicité d’une centaine de milliers d’années. Durant les phases glaciaires la banquise descendait l’hiver jusqu’aux cotes Espagnoles, la calotte glaciaire atteignait une épaisseur de 4 km retenant des quantités colossale d’eau, abaissant ainsi le niveau de la mer à 130 mètres au dessous de ce qu’il est aujourd’hui. La végétation était une végétation de toundra balayée par des vents violents et froids. La Loire devait parcourir 150 km supplémentaires pour rejoindre l’océan Atlantique.
Durant les périodes tempérées, ces masses d’eau retournaient à la mer, en élevaient le niveau, et par érosion creusaient un peu plus profondément le lit du fleuve. L’examen des alluvions millénaires nous révèle que, il y a 50 000 ans, la Loire était 20 mètres au dessus de son niveau actuel. Une simulation sur les profils des sols actuels inonderait la majeure partie de la vallée. La Planche serait sous les eaux ainsi que le hameau des Cartes. La vallée Poélons serait un lac…

La vallée de Rochecorbon telle qu’elle pouvait être il y 15 000 ans
durant la dernière période glaciaire.
L’étiage de la Loire était 20 mètres au dessus de son niveau actuel
Puis la température s’éleva, la glace fondit…. 
Aujourd’hui la Loire coule 20 mètres plus bas, libérant le lac qui s’était formé dans la vallée

Cette vision est probablement excessive, mais elle nous suggère, que lors de ces évolutions, le ruisseau de la Bédoire, devait s’écouler depuis sa source en alimentant des lacs successifs, lacs disposés en paliers sur son parcours, chacun se déversant dans le suivant. Les étendues de sols relativement plates que l’on peu observer  au voisinage de la Rabaterie, puis de la vallée Poélons, encore à  la Garenne des Cartes, aux Monteaux, en aval du moulin de Touvois, au pré de l’Eglise… semblent renforcer cette assertion.

Le profil de la Bédoire révèle la présence de paliers successifs, peut être témoins de la présence d’anciens lacs ou étangs se déversant les uns dans les autres

Durant la même période, la Bédoire  rejoignait une Loire qui ne ressemblait pas à ce que l’on peut voir actuellement : le fleuve était constitué de multiples chenaux serpentant  entre le coteau nord de Rochecorbon et le coteau sud de St Avertin. Ses bras s’entrelaçaient formant des îles temporaires qui se déplaçaient d’une saison à l’autre.
 Il y a plus de cinq cent mille ans, les premiers hommes apparaissent dans cet espace qui deviendra la Touraine. C’est la période des Chasseurs-Cueilleurs; l’homme suit les troupeaux sauvages qui lui apportent de quoi se nourrir et se vêtir. Les saisons rythment sa venue et son départ, surtout dans les périodes froides. L’hiver repoussent hommes et hordes d’animaux sauvages vers le sud.  Ils reviendront l’été suivant. Les chemins migratoires sont balisés par le lit des rivières que l’on remonte ou descend. La rive de Loire et, en particulier sur l’emplacement de Rochecorbon est abritée des vents du Nord. Elle offre un climat plus doux grâce à son orientation sud. Le coteau est un type d’abri sous roche naturel qu’apprécient les familles de chasseurs. Ils y séjournent temporairement comme on l’a constaté près de Langeais à la Roche-Cottard. Le vallon de Rochecorbon est parfaitement situé à un élargissement du lit de la Loire; le ralentissement du fleuve qu’on y observe, favorise la présence de gués; un endroit parfait pour  guetter le passage  des aurochs, rennes traversant les bras du fleuve. Les animaux, y sont plus vulnérables, et il ne faut manquer cette occasion!  C’est ainsi que vont se succéder l’Homo Erectus, l’Homme de Neandertal, puis Cromagnon. Si le coteau a été trop modifié dans les siècles derniers pour penser y trouver trace du passage de nos ancêtres très anciens, on peut parfaitement imaginer qu’ils s’y installèrent lors de leurs pérégrinations. Certains pensent y avoir trouvé des pierres taillées abandonnées lors de ces passages.
Certains pensent avoir trouvé la preuve de la présence d’hommes préhistoriques  dans les coteaux de Rochecorbon;
si la trouvaille n’est pas attestée, l’idée est tout à fait plausible (photo J.P.Riot)

La Loire au Néolithique et à l’âge du Fer, au pied de l’Oppidum

Reproduction d’une pirogue monoxyle au musée du Grand Pressigny
Il y a 11.500 ans, se termine la dernière période glaciaire, la région va progressivement se réchauffer pour permettre il y a 6000 ans la sédentarisation des populations; on change de mode de vie pour devenir des éleveurs-cultivateurs. C’est le Néolithique : aire de la pierre polie. Il faut des outils plus précis pour cultiver la terre, moissonner les récoltes, couper les arbres pour construire de grandes maisons collectives. Le sommet des collines surplombant le ruisseau de la Bédoire apparaissent des endroits privilégiés pour s’y installer. Nombreux sont ces hauteurs où on a découvert des outils de cette période. Plus étonnant les silex locaux ne semblent plus satisfaire totalement. Certains de ces outils proviennent de roches venant de loin; ils sont importés de Bretagne par exemple et témoignent des échanges sur de grandes distances. Beaucoup ont été trouvés sur les bords de la Loire. Ce sont des outils perdus lors de naufrages. Depuis le Néolithique l’homme navigue; il sait construire des pirogues taillées dans un tronc d’arbre (pirogue monoxyle). En Charente, on en a retrouvé une, vieille de 3500 ans !

 On peut identifier dans la commune,  une dizaine de sites  où l’homme s’était installé au néolithique. Un seul a été fouillé, celui situé, en limite de Rochecorbon, à la Roche Deniau.

Le site de la Roche Deniau durant les fouilles de 2007

Les points de débarquement ne pouvaient être qu’en extrémité des vallées débouchant sur le fleuve. Pour la commune sont candidates les vallons de St Georges, de Vauvert et la vallée du bourg. Durant l’âge du bronze, ces échanges semblent s’être intensifiés et couvrir des distances importantes. Quelques objets de cette période ont été extraits par les dragues prélevant du sable. On trouve essentiellement des objets de bronze ( pointes de lance, bracelet, haches à talons…) mais aussi des tessons de poterie; leur facture, les motifs qu’on y voit laisse parfois penser à une origine germanique ou bretonne! Déjà à l’époque on venait de loin pour voir notre belle région!
Vers 150 avant J.C, les gaulois s’installent sur l’éperon rocheux de Château Chevrier. l’endroit avait déjà été occupé au Néolithique par d’autres peuplades, en témoignent les trouvailles de surface faites par Roger Cloupeau (pierre polie, armatures de flèches). A cette endroit les gaulois vont créer une cité que Jules César appellera « Oppidum ». Si l’endroit est fortifié, comme en témoigne le « Vallum » toujours visible, c’est avant tout un lieu de vie, d’artisanat et de commerce.
L’oppidum de Château Chevrier. Ici se dressait une cité gauloise appelé oppidum par Jules César. Malgré, les constructions récentes, on devine encore le système de défense (vallum) constitué par un fossé et un talus. Le centre religieux et administratif devait se situer au sommet à gauche de l’image: où existe encore une plate forme terrassée. Aujourd’hui on y cultive la vigne. Il n’y a pas eu de fouille à l’exception d’opérations de sauvetage effectuées par Raymond Maugard.
Les villes les plus proches (oppida) sont situées à Fondette (Montboyau) et à Amboise sur le plateau des Châtelliers. Amboise est manifestement la ville la plus importante du pays Turons ( Gaulois de Touraine) et joue le rôle de capital; Tours n’existe pas ou n’est qu’une ferme gauloise. Ces cités sont positionnées en bord de Loire; ce n’est pas étonnant car le réseau fluvial qui couvre la Gaule est dense et harmonieusement disposé. Il relie toutes les régions entre elles bien plus que les routes; Le développement est tel que les bateliers de l’époque  utilisent tous les fleuves et affluents, même  la plus modeste rivière. Dans une page célèbre, le géographe grec Strabon écrit » Tout le pays est arrosé de fleuves, qui descendent les uns des Alpes, les autres des Cévennes et des Pyrénées et se jettent les uns dans l’Océan, les autres dans notre mer (Méditerranée). Les pays qu’ils traversent sont pour la plupart des plaines et des collines qui ont entre elles des cours d’eau navigables. Les rivières sont si heureusement situées les unes par rapport aux autres que les transports sont aisés d’une mer à l’autre… » La parfaite maîtrise des artisans gaulois en matière de charpente et de technique du bois leur permet d’exceller dans la fabrication des bateaux. Ils sont à fond plat facilitant les déplacements  sur les rivières et ressemblent soit à nos gabares (les rates), ou aux drakkars Vikings (les lintres).
Lintre gauloise; Le bateau à fond plat, à poupe et proue élevées se prête à la navigation fluviale et au hallage. Noter la présence de tonneaux dont l’invention est attribuées au x Gaulois 
 Ces échanges sont importants et exigent des « ports » proches des citées et l’oppidum a le sien. Lorsqu’on parle de « Port » à cette période, il ne faut comprendre qu’un point d’échouage facilitant l’accostage, le transbordement des marchandises, le parcage des bateaux. L’endroit le plus approprié est le bas de vallée du bourg: pas d’escarpement, la rive de la Loire devait s’enfoncer dans la vallée, créant un abri naturel. On peut même penser que le bas de vallée, là où sont les terrains de football , sont pratiquement toujours sous les eaux , formant un lac qui pénètre dans  la vallée de Rochecorbon. Ses eaux ne sont pas très profondes et demeurent calmes même lorsque le fleuve est en furie. La vallée inondée constitue un abri sûr, offrant un refuge aux embarcations des pêcheurs et aux mariniers.
Les bénéfices de ce lac sont immenses: sur les berges humides prolifèrent le frêne, le saule dont les branches fournissent l’osier si utile pour la vie quotidienne… paniers, hottes pour le stockage et le transport mais aussi enclos tressés pour les animaux domestiques… un peu plus haut, les châtaigniers dont les marrons fournissent une farine nourrissant hommes et cochons.
Ici, on exploite la configuration géographique du site; on a disposé entre le lac et le fleuve une barrière de branches entrelacées. L’eau circule entre les maillages des osiers, des obstacles dirigent le poisson vers les nasses que l’on relève régulièrement. En haute saison, aloses, saumons, sandres,  remontent de l’océan pour venir frayer dans ces eaux calmes et les « boires » formant des mares au bas étiage du fleuve. les recoins herbeux et marécageux du fond de vallée offrent les conditions parfaites pour leur reproduction: le poisson abonde et fournit une nourriture facile.
Mais au long des années, des décennies, des siècles, la vallée s’envase ; les hautes eaux d’hiver déposent les sables granitiques du massif central que complètent les limons de la Bédoire. L’été la vallée s’assèche ou devient boueuse; seul le ruisseau venant du plateau trace son filet.On ne peut accoster qu’au sud, là où se trouvaient les pièges à poissons. Un chemin sur berge remplace la pêcherie. Les crues de printemps viennent régulièrement noyer ce passage.

Le Bord de Loire à Vodanum, le « Portus rupium »

Mais tout ce trouve bouleversé par la conquête romaine. D’autres règles, d’autres mœurs; la paix romaine garantit la sécurité des habitants; il n’est plus nécessaire de s’abriter dans un endroit protégé; l’oppidum se vide, et probablement un « vicus » se crée dans la vallée; des vestiges de murs romains furent découverts an bas de la rue Vaufoynard. Le nom de ce « vicus »;  « Vodanum », ce qui en gaulois semble signifier « la propriété de Vodos »; (Vodos propriétaire). Les Romains développent en même temps les communications routières en créant les voies romaines. Sur la rive droite de la Loire la voie emprunte la rue St Roch actuelle, se poursuit le long du coteau jusqu’à la vallée. Elle passe aux Patis,  à Montguerre utilisant un segment de route aujourd’hui disparu. Sur l’autre versant de la vallée elle grimpe au sommet du coteau en passant par l’actuelle rue de la Bourdonnerie ou la rue Vaufoynard. Le problème est la traversée du font de vallée. Son inondation fréquente est un vrai dilemme: pour en limiter l’effet on construit  un pont de pierre ou de bois pour enjamber la Bédoire,  on  relève le niveau du passage en créant une « turcie »,  jusqu’à surplomber d’environ trois mètres le sol naturel. La Loire vient battre parfois, contre cette barrière; on finira par l’empierrer pour constituer un perrée; l’ensemble formera la rue du Moulin. Elle porte encore les traces de cette surélévation importante que l’on peut constater sur ses deux cotés; n’oublions pas que la construction des HLM se fit sur un sol remblayé.

La Loire venait baigner la voie surélevée, formant un quai d’embarquement; le Portus Rupium , le port des Roches (simulation)

Cette voie rehaussée forme un quai parfaitement situé ;  La pointe de Montguerre casse la force du courant et crée en aval un abri au eaux calmes le long du perré. On y avait installé une rampe rendant aisés les transbordements. C’est parfait pour y amarrer les embarcations lorque la Loire est haute ou s’y échouer à bas étiage.
C’est probablement là qu’il faut situer le « Portus Rupium »,  « le port des Roches » des textes anciens. Il n’y a pas entre Amboise et Tours d’autres emplacements correspondant mieux à cette appellation! Un document de l’Ecole des Chartes donne quelques informations supplémentaires « le mot Portus a une double signification, il désigne aussi un lieu où une route antique, presque toujours une ancienne voie romaine traversait un fleuve ou une rivière » le même document donne parmi ses exemples; Roche-Corbon, Portus Rupium..
 Ce port, correspond à une nécessité pour Vodanum. Les Romains ont importé, en Gaule, la culture de la vigne. très vite elle s’impose sur les coteaux nord de la Loire, l’exposition au sud, la qualité du sol donne un vin de qualité qui a son succès dans d’autres régions de l’empire. Il faut le transporter; les voies terrestres ne sont pas appropriées à des charges aussi lourdes. La navigation est la solution: d’ailleurs les vignes ne se développent que sur les terres proches du fleuve. Lorsqu’on s’éloigne du coteau, très vite, la culture de la vigne s’éclaircit puis disparaît; il faut pouvoir rester proche du fleuve et  accéder facilement aux bateaux.


Un moulin les pieds dans l’eau; le moulin de Gravotte

Le soubassement du moulin de Gravotte, est la partie la plus ancienne du bâtiment.
 Sa configuration basse (sur la droite)
 laisse deviner une construction qui baignait dans les eaux de la Loire

Juste après l’an mille, le besoin d’un moulin s’impose; on veut profiter de la force hydraulique de la Béboire; on taille un bief au flanc du coteau Est de la vallée, cela permet de créer une chute d’eau en arrivant proche de la Loire. La hauteur d’eau d’une roue de moulin dépasse les deux mètres; cela impose la hauteur du chemin au dessus du sol naturel;  l’eau du bief passe sous la surface du chemin supporté par le talus formé. Pour bien profiter de cette chute d’eau le moulin est construit au plus bas. En hiver il  les pieds dans l’eau.  L’été, la grève se découvre révélant graviers et sables déposés par le courant. Cette plage, cette grève baptisa la moulin le Moulin de Gravotte. Jeanson le confirme en écrivant que « le nom doit venir du latin « grava » (pierre) augmenter du diminutif « otta » d’où endroit caillouteux. Aujourd’hui on dirait : le « Moulin de la grève ».

A ses débuts le moulin était sur la grève,  il était desservi par le chemin surélevé qui servait d’embarcadère lorsque la Loire est haute. A l’entrée du pont devait se dresser une sorte de barbacane, car  le moulin côtoyait la basse cours du Château des Corbon: là ou on dressa vers 1900 le château de la Tour
Il faut bien noter que cette route surélevée n’est pas une digue, elle n’a pas d’autres missions que l’éviter que le passage qui travers le bas de vallée soit inondé. son élévation n’empêche pas que la Loire de pénétrer dans la vallée; le pont sur la Bédoire lui permet de s’engouffrer lorsqu’elle déborde. 

Le diamètre de la roue à augets du moulin de Gravotte donne la dimension de la surélévation de la rue du moulin par rapport au sol naturel. Le premier étage du moulin se trouve au niveau de la chaussée; donc une dénivellation équivalente à un étage
La rue du moulin, qui traverse cette image de haut en bas; passe au dessus du canal qui alimente la roue; elle se trouve surélevée sur sa droite comme sur sa gauche (où on peut voir le déversoir du bief; aujourd’hui pour construire les HLM on a enterré ce déversoir). la partie droite de cette route,devait être autrefois une grève; d’où le nom de « Gravotte ».

La création des levées et leur impact sur le trait de Loire

Mais les eaux calmes de la petites baies ainsi formée, favorise le dépôt des alluvions. L’assèchement est amplifié par les paysans. Avides de terres nouvelles ils plantent des osiers qui par leur enracinement fixe le sol. Cela assurera de futures pâtures. Lorsque les turcies se transforment en levées; lorsque sous la direction de l’ingénieur Poictevin, Colbert les renforce et fait rehausser leur niveaux, la route de la rive droite s’y installe, et l’on relie, en face de Rochecorbon la levée venant de Vouvray à celle se poursuivant vers Marmoutier. Il ne s’agit pas de mettre une barrière aux inondations, mais simplement d’assurer la continuité à la voie « Royale », aujourd’hui D952.

Sur cette carte (1720 environ) la levée est en cours de construction: noter que le bord de Loire n’est pas aussi ensablé qu’aujourd’hui
Extrait du cadastre napoléonien (1819) on y voit, sur la rive droite de la Loire,  les ports Grados, Marchandeau, Allaire…
En créant cette levée le long de la Loire, on a aménagé  « des rampes » appelées « cales abreuvoirs » permettant au bateaux de charger et décharger. Il y en aura peut être une dizaine sur le territoire de la paroisse. On appelle souvent ces rampes du nom de port,  » le port » Grados » et « Marchandeau » en face des Patis, le « port Allaire » en face de Montguerre…. N’oublions pas les rampes du coté des « Basses Rivières », « la Taisserie », « St Georges »…Les cartes anciennes en portent  le témoignage.

Le port « Grados » aux Patis, possède une double rampe (cale abreuvoir) , témoignant de l’importance du trafic fluvial (année 1897)


Un des témoignages nous est transmis par les registres municipaux de Rochecorbon.

La débâcle de la Loire du 8 Pluviôse an III (27.Jan.1795)

La Loire était prise par les glaces depuis le 31 décembre 1794. Il existe (registres des délibérations de Rochecorbon) une description assez détaillée de la débâcle qui en suivra; cette description nous donne quelques éclaircissement sur les ancrages des bateaux et sur l’importance que représente l’activité du commerce fluvial pour la Commune ; le texte est reproduit ci-après.
« A l’instant, le requérant, l’agent national, il a été procédé au procès-verbal de la manière dont la municipalité s’est comportée avant et pendant la débâcle des glaces ainsi qu’il fut.
La parution d’un arrêté du Directoire du District de Tours du 11 Nivose dernier, le Conseil Général s’assembla le seize et arrêta
–  que tous les hommes et outils, chevaux, voitures et conducteurs seroient en réquisition.
– que tous les citoyens qui avoient des marchandises sur la Rivière dans l’étendue de cette commune seroient tenus de les décharger dans les plus brefs délais.
– que les citoyens François Chevraux et Quittet, fermiers dans l’Isle de Rochecorbon, seroient tenus de sortir de la dite Isle, dès l’instant, avec leurs bestiaux et denrées et se retirer dans un local convenable auquel effet il leur étoit offert des secours.
Attendant d’un jour à l’autre cette débâcle, au cause de dégel, qui s’étoit manifesté, les membres du Conseil et l’Agent National particulièrement chargé de l’exécution n’ont cessé, à différentes heures de chaque jour de se transporter dans l’étendue de la commune, le long de la rivière.

Ils ont fait décharger les vins qi étoient dans huit bateaux ainsi que leurs équipages.

Le port des Patis


Dans la nuit du huit au neuf de ce mois la Rivière de ( non lisible; probablement la Brenne) a fait croître celle de la Cisse. Cela occasionna une espèce de petit courant le long de la levée depuis la dite rivière la Cisse, jusqu’au dessous de Rochecorbon. On profite le neuf au matin de cette petite crue pour faire remonter six bateaux qui se trouvaient près des Patys jusqu’au pont de la dite Cisse et deux aurtes qui étoient vis à vis de la maison de la Tesserie, dans l’espace qui se trouve entre le pont de la Bédoire et le moulin de Gravotte, en sorte qu’il ne restoit plus aucun bateau sur le territoire de la commune. Le onze sur le midi, il y eu une fausse débâcle, une partie de la glace se détacha entre cette commune et celle de Vouvray et s’arrêta en face de la maison de la citoyenne Allaire.

Dans la nuit du onze au douze, la débâcle générale s’étant manifestée, aussitôt que la Municipalité en eut éveille, les membres du Conseil se dispersèrent dans les différents endroits ou fit battre la caisse et rassembler le plus d’hommes qu’il fut possible, pour en cas de reflux faire monter le long du coteau le vin qui étoit sur les bateaux ou qui étoit resté sur la levée.

En  Février 2012 la Loire sans être totalement prise par les glaces charriait des plaques gelées 


Dans ce moment ayant reçu une lettre de l’Agent National du Directoire de District, du même jour douze, qui annonçait une crue considérable, l’activité redoubla et les hommes requis ne se retirèrent qu’après qu’on fut certain qu’on étoit hors de danger par l’évacuation facile qui se faisoit de la glace.

Cette évacuation fut terminée entièrement le quatorze du mois présent, et le Conseil joyeux d’avoir contribué par ses soins à sauver les bateaux et marchandises dont on vient de parler, a arrêté que copie du présent sera envoyé au Directoire du District de Tours.

Signé par les membres du conseil

Redonnons vie à la Loire.

Durant des siècles la Loire fut le poumon de la région, assurant la majorité des échanges commerciaux entre Nantes et Orléans. Cet extrait tiré du « BLIDIG Rochecorbonnais » (N° 1 Mai 1970) décrit la vie le long du fleuve.

 » Jean-Marie des Houes, chemin faisant entre Nantes et Blois (et cela fait quelques lieues) considérait du haut d’une turcie ces vaisseaux qui « cinglaient » vers d’autres horizons. Des chalands à voile ou gabares transportant le blé de Beauce et le vin des coteaux, et le bois des forêts et les ardoises qui font les toits si lisses après la pluie. Jean-Marie voit encore défiler devant lui les sapines telle celle qui l’a emmené, et les toues, barques goudronnées à l’avant élevé. Les allèges des convois, les bachots des passeurs, les radeaux chargés de madriers, les triots, les camuses, les boutiques, les berrichons, les montluçons, toutes sortes d’embarcations grouillantes de mouvement de vie »

Jeux sur la Loire; la Ringate est une compétition bonne enfant regroupant des inconditionnels du fleuve. C’est l’occasion d’une journée de partage et le joie



Cette vision du passé, pleine de nostalgie, doit nous inciter à nous poser la question.

Comment s’approprier à nouveau le fleuve? Comment en faire un vecteur de notre vie Rochecorbonnaise? comment l’utiliser pour attirer les visiteurs et partager avec eux ce patrimoine si exceptionnel?

Des tentatives ont été tentées. Le bateau St Martin en organisant ses circuits sur le fleuve montre qu’il est possible d’entreprendre et de réussir. D’autres initiatives comme la Rabouilleuse se sont développées, la course des « Ringates »chaque automne attirent les curieux sur les berges.

Cela ne suffit pas; il faut une vision, un plan structuré permettant d’amplifier ces entreprises individuelles. Il faut  tirer  profit de ce classement de L’UNESCO au patrimoine mondiale.

Que faire? il faut donner envie de s’arrêter au voyageurs qui circulent sur l’ancienne route Nationale. Pour ce faire
– besoin de mieux dégager la vue sur le fleuve depuis la national.

– aménager des aires d’accueil non seulement pour le stationnement mais invitant à venir flâner. Il faudrait s’inspirer des anciens ports de mer où les quais ont été réaménagés en aires touristiques; au bord de l’eau on peu consommer, prendre un verre ou un repas. Il ne s’agit pas d’une ambiance de foire avec cabanes à fritte, ni de doublonner la Guinguette de Lulu Parc qui a sa propre clientèle. Il s’agit simplement d’attirer des visiteurs; le bord de Loire, le coteau avec sa Lanterne ont toujours invité les voyageurs à s’arrêter. Combien d’anciens rapports de voyages le témoignent en mentionnant la Lanterne? Son intérêt n’est pas historique ni vraiment architectural, personne n’en connait vraiment l’histoire. Par contre le paysage surprend le voyageur par son pittoresque, et on veut se donner le temps de l’admirer et de le partager.

La fréquentation de cet espace tourné à priori vers la Loire, vers la Lanterne, invitera à connaitre « l’arrière pays », car le nom de Rochecorbon évoque aussi le bourg. Points de départ de circuits pédestres, ou à vélo, , le bord de Loire incitera à visiter le village;

la Loire ré-ouvrira cette fenêtre vers le bourg, 
fenêtre fermée depuis un Siècle!

3 réflexions sur “Rochecorbon Port de Loire (une vision du futur)

  1. Comme toujours un travail de Robert complet rappelant le rôle essentiel de la Loire dans l'histoire rochecorbonnaise. Un article à méditer…

    J'ajouterai simplement quelques commentaires et correctifs :

    – les ports recensés au XIXe siècle étaient effectivement de simples rampes permettant le chargement des tonneaux de vin, chaque rampe (une « cale ») étant intitulée du nom du négociant l'exploitant. Lorsque les transports par camions et rails s'imposeront ces rampes seront abandonnées : plus personne aujourd'hui ne s'en souvient; restent quelques traces visibles aux observateurs avisés.

    – Portus Rupium : le cas est plus délicat. Le nom est longtemps resté dans l'oubli avant qu'un érudit, Mantellier en 1865, ne l'exhume d'une charte de l'abbaye de Marmoutiers datée de 1344. Deux éléments : cette source de 1344 n'est pas sûre, mes recherches personnelles n'ont pas permis de la retrouver. Ce qui est embêtant d'autant qu'il s'agit de la source unique de cette information. D'autre part si le nom n'est pas confirmé son emplacement l'est encore moins. Chaque auteur tend à le situer à l'endroit qui lui convient, depuis Vouvray (embouchure de la Cisse), les Pâtis, l'entrée de Rochecorbon (comme Robert, voir ci-dessus), jusque Marmoutier (ancien canal qui traversait le domaine).

    – La surélévation de l'actuelle rue du Moulin me semble plus facile à expliquer :
    1) le niveau de la Loire a été sensiblement de même hauteur durant la période historique (cf études sur implantations primitives de Caesarodunum-Tours, cartes hydrographiques du début XVIIe).
    2) la vallée de Rochecorbon était historiquement marécageuse (voir article de ce blog concernant le Dr Lebled) et sujette à inondations périodiques : débordement de la rivière La Bédoire, reflux des crues de la Loire. Lors des grandes crues la rue des Basses-Rivières et la rue du Moulin -même surélevée- qui sont à la même altitude sont sous l'eau.
    La voie gallo-romaine d'origine gauloise passait au pied des coteaux, hors période de crue. Il ne s'agit pas d'une voie romaine (rappelons-nous que les voies romaines principales faisaient presque 40 m de large, les secondaires 20 m !). Comme partout dans l'empire romain la traversée des zones marécageuses se faisaient sur des routes surélevées. D'autre part il fallait ici traverser la rivière. On a donc construit un « moles » (nom latin « moles » = ouvrage de pierres et maçonnerie qui sert à surélever une route dans un passage à gué), percé d'un ponceau pour la rivière. Partout ces constructions ont été profondément modifiées, notamment par Colbert qui, on se rappelle, a largement œuvré aussi pour les digues (cf plus haut dans l'article).

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