Les « gamins » de Rochecorbon et la « Belle et la Bête »

Souvenir, souvenir !

Le 11 décembre 2013 marque les cent ans de la naissance de Jean Marais.

Cet anniversaire crée l’occasion d’interroger quelques témoins du tournage du film au Moulin de Touvois. Ils avaient entre 13 et 19 ans et possédaient en 1945 la curiosité d’une jeunesse avide de voir en chair et en os ces stars de l’écran. Aujourd’hui, lorsqu’ils nous confient leurs souvenirs, ils le font avec les mots et l’enthousiasme de leur jeunesse de 1945.
Merci à Catherine Thièrry pour son efficacité lors des interviewes

1944, le bas de la rue de la Bourdonnerie et rue Dr Lebled après explosion d’une bombe alliée. Photo JP. Riot.

La guerre n’est pas loin

1945, la guerre venait de se terminer, et les cicatrices étaient encore visibles. Rochecorbon, se trouvait entre deux cibles des aviations alliées : la piste d’aviation de Parçay-Meslay qu’occupait la Luftwaffe, et Saint-Pierre des Corps avec la gare et les usines. Beaucoup de bombes n’ont pas atteint leurs cibles et sont tombées sur le bourg de Rochecorbon ou ses environs. Une partie de la rue des Clouet, proche de Montguerre a été détruite.

René Bouillot raconte :

« je me rappelle, un matin, j’étais devant la maison et en bas de la rue de la Bourdonnerie, en face de chez Ménie Grégoire, une bombe à retardement soudain explose. Cela se passait à moins de cent mètres, j’aurais pu être blessé. Il n’y eut que des dégâts matériels… mais en 1945, on tournait la Belle et la Bête au moulin de Touvois. Avec mes camarades, nous montions au Moulin, cherchant à apercevoir tous ces personnages dont on parlait dans les journaux ».

Le Moulin de Touvois avait été recommandé par l’actrice Betty Daussmond

Josette Piednoir se rappelle de Cocteau lorsqu’il fit appel à son activité de pharmacienne :

« Il souffrait de maladie de peau, et vint à l’officine. C’était un individu pas très aimable… Le moulin de Touvois lui avait été recommandé par Betty Daussmond, cette actrice habitait alors au Jour, maison actuelle de Ménie Grégoire ».

Élisa Riot le confirme.

Nous escaladions le mur d’enceinte

Août 1945, ce sont les premières vacances scolaires depuis le retour de la paix. On veut vivre, et la jeunesse, avec son insouciance, aspire à un avenir plus serein. Cocteau invitait aux rêves. Comment y résister ?

Gérard Aubert raconte:

« J’avais treize ans, et avec mes copains nous venions au Moulin pour découvrir ce qui s’y déroulait. Nous escaladions le mur d’enceinte sur la route de Parçay. Le propriétaire (M. Lecour) nous chassait, mais qu’importe nous revenions. C’est ainsi que j’ai vu Jean Marais, Mila Parély, Nane Germon… et le magnifique cheval blanc du cirque Drancy. Jean Marais le chevauchait parfois, parfois l’écuyer du cheval doublait Jean Marais car le cheval était difficile : il avait désarçonné Mila Parély, et tous les jours elle se faisait masser pour récupérer.
Le cheval Aramis.

Une des scènes amusantes, fut de voir les machinistes ouvrir le portail en tirant sur des fils alors que sur le film ce portail s’ouvre de lui-même à l’approche du cheval. Une autre scène que m’a décrite ma voisine : il fallait tirer à l’arc dans une cible. C’était filmé en deux fois : d’abord le tireur lançait sa flèche, puis dans une seconde prise on filmait la flèche qu’un accessoiriste plantait au centre de la cible.

La scène du tir à l’arc.

J’ai vu aussi une scène avec une chaise à porteur. Le chemin monte pour sortir du moulin, la chaise était très lourde et les acteurs avaient quelques difficultés à la déplacer. On reprit cette scène une vingtaine de fois [ce que confirme Cocteau dans son journal]. J’ai même assisté au tournage d’une scène qui ne figure pas dans le film, scène où intervenaient des lavandières : ça se passait sur le bief du moulin, et nous étions aux premières loges avec notre position d’observation sur le mur.

La scène des chaises à porteur. Il fallut la reprendre une vingtaine de fois, tout le monde était épuisé.

C’est là que j’ai vu qu’il fallait tout un matériel conséquent, projecteurs, réflecteurs, … Lorsqu’ils étaient ennuyés par les avions de la base (il n’y en avait pas beaucoup) on coupait l’enregistrement et on recommençait, il est vrai qu’un bruit d’avion dans un conte ça fait mauvais effet.
On ne voyait pas tout car au fond de la cour ils avaient étendu des draps où les acteurs jouaient à cache-cache… mais on entendait les bouchons de champagne qui pétaient des fois… ils ne s’emmerdaient pas… »

Nous faisions un trou à travers la haie pour observer…

Mme Tiphaneau était là :

« Nous habitions une grande maison aux Bourdaisières. De là on domine un peu le moulin. Durant le tournage, je suis venue au moins une fois avec mon frère en vélo. Nous avons fait un trou à travers la haie pour tenter d’apercevoir ce qui se passait. Nous avons entrevu Jean Marais, il entrait dans la maison. Il y avait une dame dans un grand fauteuil… »

Mes parents habitaient en face, aux Monteaux…

Mme Letourmy se souvient :

« Mon père et sa sœur habitaient ici aux Monteaux. On m’a raconté que Jean Marais hospitalisé à la clinique St Grégoire avait exigé que son chien Moulouk reste à l’hôpital durant son hospitalisation. Ce qui avait été accepté… »


Jean Marais et son chien Moulouk 
lors de son séjour au moulin de Touvois.

En attendant son rétablissement, Cocteau fit doubler ses personnages, ne craignant pas d’utiliser des habitants du bourg. Cocteau écrira : « Ce soir et demain, fête de la libération de Tours (Une jeune fille, voisine des propriétaires du Moulin, doublera Josette qui refuse de monter le cheval Aramis) ». Il sollicita, dit-on, la jeune fille Letourmy, résidant à deux pas aux Monteaux.

et de celui d’Avenant.
Jean Marais dans le rôle de la Bête

Je travaillais « au Bon Coin »

Renée Pinaudier travaillait à cette date au café du « Bon Coin » à quelques encablures du moulin de Touvois. Elle se souvient du passage des voitures rejoignant le moulin le matin et leur retour le soir, mais son activité ne lui laissait pas le loisir de s’intéresser au tournage.

Jean Marais m’a serré la main et offert à boire…

Jeanne Tornay avait 19 ans en 1945. Elle travaillait comme serveuse au café Debelle, rue des Clouet. M. Debelle fut propriétaire du « Croissant » sur le quai de la Loire. Elle se souvient que Jean Marais et son électricien avait loué une chambre dans le café, faisant aussi hôtel. Quelle impression a pu faire à une jeune fille cet acteur de 30 ans qui passait comme le plus bel homme du monde !

« Il était très gentil, pas fier, même amusant… il m’a serré la main et ma offert à boire. Je ne buvais pas d’alcool ce devait être de la limonade… et puis il m’a invitée à venir voir le tournage. J’ai toujours regretté de ne pas avoir été prise en photo avec lui. Je suis allée à pied à Touvois, ce n’était pas très loin. Je ne sais plus quelle scène on tournait, par contre j’ai vu Jean Marais dans son costume de la Bête… Il était affreux, effrayant… Je ne suis plus revenue au moulin. Mais plus tard en 1999, je passais par Vallauris, je me suis arrêtée à son magasin de porcelaines, j’ai visité la fabrique derrière la boutique : j’espérais le rencontrer de nouveau. Il n’était pas là… ».

Belle portait une robe de satin bleu pâle…

Andrée Grégoire (aujourd’hui Mme Donny) se rappelle avec les accents de ses treize ans ses visites sur les lieux de tournage :

« Nous étions très près de l’événement. Lors de la scène des chaises à porteur nous nous tenions derrière le portail d’entrée sur la route de Parçay. C’est de là que j’ai assisté à la scène du collier : la Belle portait une superbe robe de satin bleu pâle. Je l’ai vue décrocher le collier de perles fines qu’elle remit à une de ses sœurs. Cette dernière avec son grand chapeau blanc et son corsage de bandes rouges et vertes…
Je n’ai aperçu Jean Marais que lors des prises de vue où il monte à cheval avec Michel Auclerc. Il fallait que de la poussière jaillisse sous les pieds du cheval : alors on passait une sorte de « savon » [en réalité du tétrachlorure] sous les sabots et l’effet attendu se produisait.
J’étais aussi de celles qui avec d’autres avaient escaladé le mur d’enceinte, et de là nous étions aux premières loges pour les prises de vues faites lors du départ du père depuis le petit perron… ».

La Propriétaire du Moulin nous avait invités à assister au tournage…

Jean Guillaume Guglielmini évoque ses souvenirs :

« Mon père connaissait bien M. et Mme Lecour, propriétaires du moulin. Plusieurs fois il avait réalisé pour eux quelques travaux de maçonnerie. C’était des personnes assez prêts de leur sous. Lors de la réfection d’une voûte dans la maison, M. Lecour, Ingénieur des Arts et Métiers, demanda à mon père de réduire la facture de l’électricité qu’il avait dû consommer ! De même, après le tournage, il argua que les gamins de Rochecorbon avaient dégradé son mur en l’escaladant : sa demande fut rejetée car la vétusté du mur justifiait à elle seule son mauvais état. Les relations entre mon père et les propriétaires du Moulin n’en étaient pas moins cordiales : lors du tournage du film, ils m’invitèrent à venir assister au tournage… J’étais accompagné d’un camarade de vacances, Michel Trévien, qui venait en juillet et août chez son oncle, M. Corler. L’école ne reprenait que dans quelques jours, nous n’avons donc pas raté cette aubaine. C’est ainsi que nous avons vu Jean Cocteau : c’était un homme extrêmement maigre, avec une chevelure hirsute. Il était toujours très tendu, énervé parfois ne tenant plus ses nerfs et le faisant savoir. On ne pouvait oublier son regard ; ses yeux paraissaient exorbités. J’ai été témoin, un jour où il y avait trop de soleil pour tourner. On avait étendu des sortes de bâches pour réduire la luminosité. On commence à tourner, le perchiste assure la prise de son, et soudain le vrombissement d’un avion : « donnez-moi une mitraillette ! » hurla Cocteau. Il fit téléphoner à la base de Parçay. »
Pour assurer les prises de vue 
il fallait tout un matériel de projecteurs, réflecteurs, perches…
Par contre je ne me rappelle pas avoir vu Jean Marais ou Josette Day, même si chacun parlait d’eux. Il est vrai que Jean Marais avait été hospitalisé à la clinique Saint-Grégoire.
Une jeune fille de Rochecorbon, dont je ne dirai pas le nom mais qui travaillait à cet hôpital, raconta qu’un matin, on retrouva Jean Marais et Mila Parely dans le même lit !… Je n’ai rien entendu sur la présence de son chien à l’hôpital, c’est possible, car chacun connaissait l’affection de Jean Marais pour Moulouk : c’était son nom. [il est présent dans les images du générique du film]

L’arrière de la maison là où on tourna la scène du départ du père. Rien n’a changé. Photo C.Mettavant.

J’ai assisté au tournage de plusieurs scènes, celles correspondant au départ du père sur son cheval, là où il demande à ces filles ce qu’il doit leur rapporter. En réalité ce jour là ne se tournaient que des plans de raccords : deux plans en particulier.

Scène du départ du père.

Sur le premier, le père doit enfourcher son cheval avant de partir. Problème, dès que l’on allume les projecteurs pour tourner, le cheval se cabre, rendant impossible le jeu de l’acteur. On demande à un machiniste de le faire : le cheval se cabre de nouveau, le machiniste est blessé, on doit l’hospitaliser. Cocteau décide alors d’installer un « praticable », lorsque l’acteur Marcel André fait semblant d’enfourcher le cheval, et se laisse tomber. « Coupure ! », on arrête la caméra. [nota : ce plan ne sera pas monté] .
Concernant le second plan, Nane Germon et Mila Marély devaient éclater de rire au moment où Josette disait « rapportez moi une rose.. ». La scène se passa sans Josette Day, quelqu’un donnait la réplique : après de nombreuses reprises, les éclats de rires des deux sœurs ne satisfaisaient pas Cocteau. On eut recours à un stratagème : on fit appel à une bonne sœur. Ce personnage (non filmé) se positionna en vis-à-vis des deux actrices, releva brusquement sa robe, découvrant ainsi ses jambes velues : c’était Aldo, le photographe du film qui s’était déguisé. Elles éclatèrent de rire. La scène était dans la boite, et Cocteau satisfait.
Un autre jour, les acteurs déambulaient à l’intérieur de la maison. La pièce était encombrée de fils électriques qui courraient sur le sol. Tout à coup, on entendit un hurlement et une actrice se précipita dehors, ses jupes s’étaient enflammées lors d’un court-circuit. Continuant à hurler, elle remonta ses jupes. On se précipita à son secours et finit par l’enduire de pommade pour apaiser ses souffrances.
Un jour Jean Cocteau vint nous voir, il nous annonça que ce n’était pas nécessaire de revenir le lendemain, les scènes se passeraient en intérieur. Ce doit être là qu’on tourna les scènes dans l’escalier et les scènes où tout le monde est réuni autour de la table [en réalité les scènes d’intérieur furent tournées en studio; les décors étaient inspirés des pièces du moulin]. Il y a dans cette pièce une grande cheminée qui tirait mal. On demanda à mon père d’intervenir. Une cheminée identique existait à Saché chez le sculpteur Alexander Calder ; j’y suis allé avec mon père… en traversant la cour, Calder ramassa un bout du fil de fer, et en deux ou trois mouvements, avec une dextérité qui m’impressionna, il me fit une fleur…

La rentrée de l’école approchait, nous ne sommes pas revenus… »

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