Mais qui a eu cette idée folle, un jour d’inventer l’école ?

Cette page reprend un article publié dans le bulletin la « Lanterne » de Rochecorbon en Octobre 2013

L’école naquit aux portes de Rochecorbon

Chacun de nous connait le rôle que joua ce sacré Charlemagne !

Il souhaitait enrayer l’illettrisme qui s’était développé à la chute de l’Empire Romain. Il s’appuya sur son précepteur Alcuin d’York, homme savant et érudit. La Touraine se trouva au premier plan de cette « révolution » puisque Charlemagne le nomma en 796 Abbé de Saint Martin de Tours et de Marmoutier  avec la mission de développer l’enseignement. C’est alors qu’Alcuin substituera à la médiocre école qui existait dans l’abbaye, un cycle élémentaire de trois classes et un cycle supérieur enseignant l’arithmétique, la grammaire, la logique, l’astronomie et la musique. Une approche nouvelle de l’école naissait.

Alcuin (730-804) Abbé de Marmoutier.


Il fit, en plus preuve d’invention : constatant qu’un copiste n’était souvent pas capable de lire l’œuvre écrite par un autre copiste, il normalisa les règles de l’écriture. Ses recommandations nous sont parvenues : forme des lettres (l’écriture « caroline »), ponctuation, espace entre chaque mot, majuscule en début de phrase…

Caractères d’écriture « la caroline » définis par Alcuin.

Puis il créa à Tours et à Marmoutier un « Scriptorium » et y forma des copistes pour reproduire les textes anciens. Ce fut un vrai succès ; les abbayes de Tours et de Marmoutier rayonnèrent sur toute l’Europe, enracinant une tradition culturelle… Ce fut « La renaissance Carolingienne ».

Entrée de Marmoutier : la porte de la Crosse.

Comment Rochecorbon, si proche de Marmoutier, n’aurait pas bénéficié de ce voisinage intellectuel si important ? Cette impulsion fera que jusqu’à la Révolution l’école sera sous la houlette de l’église et ses représentants.

L’école avant la révolution.



La révolution française : de bonnes intentions, mais l’école n’est  que pour les garçons ! 

En 1791, l’Assemblée Constituante vote la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, met en place les municipalités, crée les départements, unifie le système des poids et mesures. Elle transfère aux autorités administratives les pouvoirs de l’église sur l’école, donc à la commune pour l’école élémentaire. Plusieurs projets d’organisation seront échafaudés mais jamais totalement réalisés. Le flou semble présider au fonctionnement de l’enseignement primaire et laisse place à beaucoup d’improvisation. Il existe deux types d’enseignants, l’un officialisé par le préfet, représenté par « l’instituteur primaire » l’autre non réglementé appelé « instituteur particulier » (pour ce dernier nous ne savons rien excepté qu’il existait aussi à Rochecorbon). On trouve dans les registres de Rochecorbon :
« Le 4 Nivôse de l’an III (24 décembre 1794) de la République, s’est présenté [au conseil municipal de Rochecorbon] le citoyen Louis Périgord, instituteur, nommé pour cette commune, lequel a déclaré être dans l’intention d’ouvrir son école [de garçons] le onze du présent mois… »
Il succède à la citoyenne Goisnard. La préfecture demande que l’instituteur soit logé aux frais de la commune à condition d’avoir un minimum de 37 élèves. Il enseigne chez lui. Cela ne se fait pas sans difficultés ; au mois d’août suivant on signale « que la femme du citoyen Périgord instituteur de cette commune, malgré les remontrances qui luy ont été cy devant faites ne cessoit journellement de maltraiter les jeunes gens qui vont chez elle pour être instruits qu’elle faisait contre eux des imprécations et des jurements épouvantables et faisait un fort mauvais ménage avec son mary… »
Louis Périgord démissionne en juin 1806. La législation s’est manifestement durcie, car la tentative d’obtention du poste par « le citoyen Étienne Mercier ancien secrétaire de la municipalité de cette commune qui a déclaré être dans l’intention de s’y établir instituteur  et d’y donner tous ses soins à l’instruction républicaine » ne semble pas avoir débouchée. On attribue la fonction à Martin Robin. Pour ce faire les conditions sont précises :
         – il se présentera au jury de l’école centrale, rapportera un acte [certificat], 
         – enseignera à lire et écrire, 
         – ne recevra dans sa classe aucune fille (1).
         – L’école est payante sauf pour 20% des élèves (enfants de familles indigentes).

(1) contrairement à ce que l’on pense aujourd’hui, la « déclaration de l’homme et du Citoyen » de 1791 oubliait le sexe féminin ; le mot « homme » ne concernait que les personnes de sexe masculin ; la femme n’était pas concernée, d’ailleurs, elle n’obtiendra le droit de vote qu’en 1944 !

Création de l’école de filles

En 1824, Rochecorbon se trouve sans instituteur après la démission du Sieur Brault qui se retire après le décès de sa fille (elle assurait l’enseignement des jeunes filles). Les parents protestent, mais il faut attendre le 1er nov. 1825 pour que la mairie tente une nouvelle organisation scolaire gérée par des religieux. « Il sera créé dans la commune de Rochecorbon deux écoles distinctes et séparées pour les enfants des deux sexes. Chacune des deux écoles sera divisée en deux classes.
– La première pour les enfants auxquels on enseignera le catéchisme, l’écriture ou l’arithmétique. 
– La seconde pour les enfants pour lesquels on n’apprendra que la lecture, ou des exercices de mémoire ».

La loi du 28 juin 1833 dite « loi Guizot »

Jules Ferry, qui en 1881-82 rendit 
l’école laïque, gratuite et obligatoire.
Gizot dont la loi du 28 juin 1838 
transforma l’école.


Depuis trois ans la monarchie de juillet gère le pays, et les lois sur l’école primaire promulguées par Guizot vont dynamiser l’école en faisant reculer l’illettrisme de manière significative et cela, cinquante ans avant Jules Ferry. Cette loi fixe le niveau de formation requis pour les instituteurs, créée par département une l’école Normale.

Ces lois imposent que chaque commune de plus de cinq cents habitants entretienne une école primaire et un instituteur…

Impact sur la commune de Rochecorbon

Le maire à cette date est le notaire de Rochecorbon, Maître Hilaire Cotton, il habite la Falotière. Comprenant l’opportunité de cette loi pour le bourg, il impose à son conseil plusieurs priorités :  

  • louer une maison pour y installer provisoirement  une école, 
  • établir un règlement scolaire,
  • trouver un terrain pour y construire une école définitive,
  • réunir des financements, 
  • réaliser le projet,
  • et recruter un maître d’école.

 La maison du Crochet : école provisoire

La maison du Crochet fut la Mairie et l’école.

La loi Guizot fixe aux communes l’année 1836 comme date limite pour se procurer un local scolaire. Très rapidement on décide de louer la maison du Crochet et d’y réaliser les travaux d’adaptation nécessaires.
Les conditions d’installations peuvent nous paraître aujourd’hui bien insolites ; il n’y a qu’un instituteur avec 70 à 75 élèves. Filles et garçons sont séparés par une cloison, et pour éviter toute mixité non seulement les espaces de récréations sont distincts mais on a décalé d’un quart d’heure le début et la fin des classes entre les enfants des deux sexes !

Recherche d’un terrain

Il y eu plusieurs projets de construction, celui ci-dessus prévoyait d’installer la mairie dans une grange positionnée là où est aujourd’hui la Poste. Les choix se firent suivant des critères financiers prenant en compte les subventions possibles.

La maison du Crochet n’étant que provisoire on rechercha un terrain pour y construire des installations appropriées. Après plusieurs tergiversations, on se fixa sur le terrain de Rocnauve. Il est parfaitement situé, proche de l’église, et permet d’y créer le bâtiment des écoles, la mairie, y accueillir le presbytère et implanter une place.
Le projet définitif établi par l’architecte M. Pallu, associait mairie et école. En effet le bâtiment de la mairie servait d’abord de logement aux instituteurs et n’allouait que la moitié du rez-de-chaussée  au fonctionnement de la commune.

Plan de l’architecte Pallu ; la mairie intègre deux logements : l’un pour l’instituteur, l’autre pour l’institutrice. Les entrées sont distinctes. Chaque appartement possède cour et jardin. Derrière, les cours de l’école que les élèves rejoignaient en traversant la cour de l’instituteur correspondant (fille ou garçon).



Construction de l’école et de la mairie

Les travaux sont adjugés aux entreprises le 22 janvier 1837. Il y aura des malfaçons qui retarderont la réception des bâtiments au 12 mai 1840, soit plus de 3 ans plus tard !
Un nouveau règlement a été rédigé, il fixe à 16 le nombre d’enfants de familles indigentes bénéficiant de la gratuité. Pour les autres le coût s’élève :

  • à 1 F pour ceux qui écrivent sur le sable,
  • à 1.25 F sur l’ardoise, 
  • à 1.50 pour ceux qui écrivent sur du papier.
  • On ajoute 1 F les mois d’hiver pour financer le chauffage.
  • Les vacances sont définies du 1er septembre au 1er novembre prenant en compte les vendanges. Le mode d’enseignement est mutuel ; c’est-à-dire que les plus grands assistent les débutants.

Une commission municipale est mise en place : « le comité d’instruction publique ».

On reconnait sur le mur à gauche la porte d’accès à l’école des filles et au fond derrière la mairie le bâtiment de l’école proprement dite ; la même entrée existait à droite pour les garçons, évitant ainsi que garçons et filles se croisent dans la cours ou à l’entrée de l’école.



Recrutement

La Commune se mit en quête de recruter un couple d’instituteurs : il faut admettre le sérieux de la démarche de recrutement qui aboutit au choix de M. et Mme Chausset.
En 1845, problème : beaucoup d’enfants désertent l’école de Rochecorbon au profit de Tours. Enquête faite, on constate que M. Chausset s’absente, s’endort en classe… un rappel à l’ordre est jugé nécessaire. Peut-être souffre-t-il de problème de santé, car deux ans plus tard il décède. Il sera remplacé en 1847 par M. Lebreton tandis que Mme Chausset reste l’institutrice des filles : elle continue de loger dans le bâtiment de la mairie, mais on lui verse un salaire de misère (50 F par an alors que l’instituteur reçoit 200 F !)
En 1856 M. Paul Colonnier devient instituteur (voir l’article qui lui est consacré sur ce blog).

Classe d’école à Rochecorbon en 1922 
(peint par MmeLandry, fille de l’instituteur de l’époque)


Installation de la cloche !

On installa une cloche de 8 à 10 kg pour sonner le début et la fin des cours, en 1850 on jugera indispensable de compléter la « mise à l’heure » du village par l’installation d’une horloge au clocher de l’église.

La troisième République

Elle débute par la guerre de 1870 qui va perturber la vie municipale et entre autres celle de l’école. Les classes sont réquisitionnées pour servir « d’ambulance » (hôpital de campagne). Tant bien que mal on essaie de maintenir les cours en se serrant dans les salles de la mairie. Même si ces événements se déroulent sur une courte période, les stigmates de cette occupation vont perdurer. Les chariots des brancards ont dégradé les sols qu’il faudra restaurer.

L’ordre républicain installe de nouveaux usages. On va charger l’instituteur de remplir d’autres fonctions auprès de la mairie, en particulier la tenue de l’état civil, puis plus tard les cours pour adultes… L’instituteur Javary (cousin de Pierre Lebled), installé en 1876 assure toutes ces fonctions, faisant de l’instituteur un des notables du bourg (il siègera d’ailleurs au conseil municipal).

Au cours des années 1881 et 1882 Jules Ferry, ministre de l’instruction publique, promulgue ces lois qui transformeront les usages. L’école devient « laïque, obligatoire et gratuite… ».

Conflit école publique – école privée

Sans vouloir entrer dans les détails de ce conflit, il faut reconnaître qu’il fut rude entre 1895 et 1900. La mairie s’oppose à la création d’une école de filles proposée par Sœur Amandine, et après plusieurs années et plusieurs procès, elle doit finalement s’incliner.

Création de préaux

Plans des préaux en 1906 ; il semblerait que l’un existe toujours et soit devenu la salle de musique.

Le besoin s’impose en 1906 de disposer de plus de place. On décide donc de construire deux préaux fermés à usage multiple (un pour les garçons, l’autre pour les filles). Il ne s’agit pas d’offrir un abri pour les récréations mais de créer des salles supplémentaires.

La classe de garçons en 1916 (source Catherine Thierry).


Transfert de l’école

L’accroissement de la population scolaire n’était plus compatible avec l’étroitesse des lieux, on construit de nouveaux bâtiments sur le coteau de Rocnauve ; on les inaugure en octobre 1966 et l’ancienne construction devient l’actuelle salle des fêtes du bourg.


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