Le Sanatorium vitaliste de Rochecorbon

Fin juin 1905 s’installait dans le château de La Tour, à l’entrée principale de la commune, un institut médical d’un type tout à fait particulier : un sanatorium vitaliste !

Gravure du Sanatorium de Rochecorbon. cette image est la composition de plusieurs cartes postales de l’éditeur Maupuit de Tours. Les perspectives ne sont pas respectées.
La création de cet établissement est la dernière étape d’une histoire commencée au milieu du XIXe siècle.

L’inspirateur : le docteur Victor Burq

Fils de pharmacien, Victor Burq est né en 1822 à Rodez, dans l’Aveyron. Ses premières recherches médicales datent de 1849 : il découvre que des métaux placés sur le corps de femmes hystériques suscitaient chez elles des réactions physiologiques, nerveuses, musculaires et psychiques. La métallothérapie était née.
Les médecins adoptèrent rapidement les travaux de Burq, en utilisant le terme de burquisme pour qualifier ces soins. Nombreux emportaient dans leur trousse médicale quelques plaques de différents métaux et un petit aimant.

La Société des plaques dynamodermiques

Le 20 novembre 1881 se crée à Paris une société dont le but commercial est de diffuser des plaques métalliques à usage de soins médicaux, nommées Plaques dynamodermiques du fait des réactions qu’elles entraînaient lors de la simple application sur le derme (sur la peau). Cette société est fondée par les docteurs Girde et Pinel. Ces médecins sont adeptes du vitalisme, courant de la pensée médicale qui estime qu’entre l’âme d’une part et le fonctionnement chimique et physique du corps d’autre part, il existe un principe vital qui garantit le bon fonctionnement de l’ensemble des organes. 
Publicité parue en 1884 dans le quotidien 
national Le Matin. Source Gallica.

Pour ces médecins, une maladie est un déséquilibre de ce principe et les soins vont simplement consister à rétablir ce principe au travers d’éléments naturels tels que l’air, la lumière, l’électricité. Ils s’opposent aux méthodes de la médecine classique : pour eux un médicament est un poison qui affaiblit tous les autres organes avant de soigner celui défaillant, et la chirurgie ampute le corps d’un organe qui ne demandait qu’à être simplement rééquilibré.

L’entrée en scène de Moron et Legras

En 1884 la petite société fonctionne bien mais reste modeste. Elle va être bouleversée par l’arrivée de deux personnages qui nous emmèneront jusqu’à Rochecorbon.

Édouard Moron. Vers 1900.
Source Mme Charbonneau, sa petite fille.
Photographie communiquée par R.Pezzani.
Le premier c’est Édouard Moron. Il est né à Tours en 1850 d’un père employé des chemins de fer et d’une mère au foyer. Il a probablement fait quelques études médicales et se prétendra toute sa vie médecin. Érudit, bonne plume, agréable en société, c’est une personne ambitieuse assoiffée de reconnaissance sociale. Il recherchera en permanence  le contact avec la bonne société, les milieux artistiques. Côté plus étrange du personnage : il multipliera les pseudonymes, se faisant appelé docteur Édouard de Monplaisir (du nom d’un quartier de Sainte-Radegonde où vivaient ses parents), docteur Sosthène Faber (qu’il utilisera notamment à Rochecorbon), E. de Salerne, Tomy, De la Palette, et bien d’autres.
Le second personnage de notre histoire est Eugène Legras : né en 1856 à Ozouer-le-Repos (Seine-et-Marne), il est le premier enfant d’un cultivateur et de sa jeune épouse de 17 ans, sans profession. On ne sait s’il connaissait Moron avant leurs entrées à la Société mais à compter de cette date il ne le quittera plus. Certainement de culture technique il sera le monteur financier des affaires de Moron. Quelques opérations hasardeuses l’amèneront régulièrement devant la justice. Célibataire jusqu’au bout il sera d’une fidélité parfaite à son mentor.

La société électrogénique

L’impulsion donnée par ces deux compères à la petite société des plaques est décisive : en cette fin de siècle, elle va devenir l’Institut dynamodermique puis la Société électrogénique, la plus importante place de France et certainement d’Europe vendant ses produits vitalistes.

Journal publié par la Société électrogénique. 1891. Source Gallica.
La stratégie du duo, vite copiée par les concurrents, est la suivante :
  • une publicité abondante dans les journaux, locaux, nationaux et internationaux (Europe, Turquie, Afrique du Nord),
  • un établissement prestigieux, l’hôtel particulier 19 rue de Lisbonne à Paris, propriété à cette époque du comte Louis Henri Gaston de Poix, natif de Tours et installé au château de la Roche-Ploquin, commune de Sepmes en Indre-et-Loire,
  • des consultations gratuites, la société se finançant sur la vente des appareils et produits nécessaires aux soins,
  • un journal de vulgarisation, dit de propagande, préconisant et vantant les produits,
  • des dénominations pseudo-scientifiques : plaques dynamodermiques, vitalogène,…
Se targuant de soulager et même guérir toutes les maladies et même les incurables (tuberculose, cancers,…) cette société va ainsi prospérer pendant plus de vingt ans, en résistant à de nombreux et éphémères concurrents.

Publicité dans le journal national Le Temps en 1889. Source Gallica.
Moron et Legras sont actionnaires de la société, mais ils en sont également les employés l’un en tant que médecin et l’autre gérant. Ils sont aussi les titulaires des brevets utilisés. L’argent entre à flots !
Le château de la Tour
Par un hasard des plus chanceux et incroyables, Moron reçoit la proposition d’un ami médecin d’élever le fils illégitime qu’il a eu avec une riche américaine moyennant la somme extraordinaire d’un million de  francs or. Acceptant cette proposition, il va utiliser cet argent à entretenir une vie fastueuse. Une des étapes sera la construction du château de la Tour à l’entrée de Rochecorbon. Ayant acheté l’ancien bâtiment et tous les terrains y attenant, il fit construire par un architecte de renom ce petit château équipé des dernières modernités (eau chaude, électricité) entouré d’un grand parc arboré.

Le château de la Tour vers 1905. Carte postale, collection de l’auteur.
Il achètera plusieurs propriétés dans la commune, un bateau sur la Loire, une goélette ancrée sur la Côte d’Azur, une voiture. Il organise des fêtes au château.

Mais revenons en 1900. Tout va bien : le château vient d’être terminé, les revenus que procure la Société électrogénique sont substantiels. La demande est tellement forte qu’une usine de production vient d’être installée à Vernou-sur-Brenne.

Usine « électrogénique » de Vernou-sur-Brenne. Ancienne filature elle a été achetée par les médecins vitalistes, réaménagée et inaugurée le 28 novembre 1897. Employant une centaine de personnes vers 1900, elle n’en comptera qu’une dizaine fin 1905 pour se fermer vers 1910. Devenue ensuite tannerie, elle est mieux connue sous le nom de Cosson, fabricant de machine à coudre d’après guerre. Gravure rectifiée par l’auteur.

Le choix du site témoigne de la volonté permanente de Moron de favoriser les solutions offertes par son pays natal. Ainsi lorsqu’il s’agira de faire venir à Paris du bon lait, il s’adressera à la ferme-modèle de Chizay à Parçay-Meslay (aujourd’hui disparue). Pour son élixir de revitalisation, c’est le pharmacien Gaston Dorléans à Saint-Symphorien qui est retenu à l’issue d’un concours soi-disant anonyme, l’imprimeur des journaux est Arrault à Tours (Arrault était propriétaire à Rochecorbon…).

Publicité pour l’élixir Stack, produit par le pharmacien Dorléans 
(certainement une connaissance de Moron). 1899. Source Gallica.
Mais en 1905 rien ne va plus : les affaires marchent moins bien, les médecins créateurs de la société et cautions morales sont décédés, des dissensions apparaissent entre Moron-Legras et les autres acteurs et actionnaires. La Société électrogénique est déclarée en faillite.

La création du sanatorium de Rochecorbon

Moron se replie à Rochecorbon dans le château de La Tour, sa propriété. Avec Legras qui l’a suivi en Touraine, ils fondent un sanatorium dans lequel ils vont poursuivre leurs activités de soins vitalistes.
Moron, sous le pseudonyme du docteur Sosthène Faber, y soigne la neurasthénie, les hernies, toutes les maladies…
 Deux des appareils proposés par le sanatorium de Rochecorbon (comme en témoignent les étiquettes dans les couvercles). Collection de l’auteur.
Les appareils utilisés au sanatorium, toujours fabriqués à l’usine de Vernou, sont multiples :
  • appareils d’électrothérapie,
  • appareils de luminothérapie, de magnétisme, de traitement de la tuberculose par l’ozone,
  • sans oublier le fond de commerce, les plaques métalliques !

Plaque dynamodermique (métallothérapie), fabriquée à Vernou et 
vendue au Sanatorium de Rochecorbon. Vers 1907. Collection de l’auteur.

Ces plaques étaient préconisées pour le traitement de toutes les douleurs par application à l’endroit sensible, et par extension elles étaient sensées guérir toutes les maladies internes.

Notice d’utilisation des plaques de métallothérapie
vendues par le Sanatorium. Collection de l’auteur.
La notice conseillait de faire régulièrement revitaliser ces plaques au bout de 300 heures d’utilisation : il s’agissait en fait de simplement de les nettoyer, les décaper. Ce service, vendu pratiquement à moitié du prix de la plaque, était une rente pour le Sanatorium.
Les quatre trous sur la plaque servaient à la fixer à la chemise de nuit, le malade devant conserver de 3 à 7 plaques sur la peau toute la nuit…

 Publications du Sanatorium. Édouard Moron y utilise 
deux de ses pseudonymes : Monplaisir et Faber.

La chute en 1909

Édouard Moron décède en 1909, ruiné par ses fastes. Le sanatorium n’y survivra pas, et malgré les efforts du fidèle Legras tout sera fini avant la guerre. En 1930 la veuve d’Édouard Moron tentera, depuis Vouvray, de relancer la vente des plaques, mais sa disparition en 1932 sonnera le glas définitif du vitalisme tourangeau.

Pour en savoir plus

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